Le tourbillonnement aux risques de l’égocentrisme

 Vous subissez un accident de la route, un tsunami. On vous diagnostique le sida ou un cancer. Votre femme part, votre mari se retrouve au chômage, votre ami(e) a du génie, vous gagnez au loto, votre PME devient multinationale, votre fils devient célèbre…

Le tourbillon est sans doute le mal du siècle et chaque siècle va s’en plaindre. Comment garder son équilibre au sein de ce tourbillonnement et en retirer des bienfaits ? Quels sont les liens qui l’unissent à l’égocentrisme ?

Le tourbillon de la connaissance

J’emploie le mot tourbillonnement et non tourbillon car il apporte ce petit plus, ce « ment », qui loin d’être dénué de sens, confère du mens donc de l’esprit ─ quand il s’attache aux adverbes ─ au risque d’être mauvais, comme on dit « au vent mauvais ». Le tourbillon ─ étymologiquement ─ désigne toute espèce d’objet animé d’un mouvement, sabot, toupie, tornade, vertige de l’âme, le mouvement lui-même, la révolution d’un astre, le tournoiement d’une arme, la marche sinueuse du reptile.

Le tourbillonnement (défini par une action découlant de tourbillon) serait selon ce que je crois un mouvement d’événements successifs qui accompagne ou précède un positionnement du sujet, liant le tourbillon et l’attitude, la latitude de l’être au sein de l’effervescence dans laquelle il est plongé, lancé, fumé, calé.

On pense immédiatement à Descartes ─ et à ses trois songes à l’origine du cogito ─ qui commence par voir quelques fantômes et croit marcher dans les rues sans but particulier, ressent quelques douleurs au côté. Un vent impétueux l’emporte, l’oblige à des efforts pour ne pas subir sa loi. Malgré tout, un tourbillon le contraint à faire des tours sur lui-même. Il veut gagner l’église qui le jouxte, croise un collège et un collègue. Il essaie de se retourner vers lui en vain. Le vent le pousse violemment vers l’édifice religieux. Une personne lui dit qu’elle a quelque chose à lui donner. Quoi ? Ce présent aurait été…  un melon.

Descartes emporté par le tourbillon de la connaissance, éprouve la dualité de ses penchants et la crainte des spectres du « réglisme » et du faux savoir, excité par la curiosité, rigoureux dans sa quête d’un apport fécond au-delà de lui-même. Ce songe propre à Descartes évoque le tourbillonnement auquel nous sommes tous soumis. De lui et de ses songes Descartes tira sa science. Et nous, que nous apporte t-il ?

La vie est un mouvement

Le tourbillonnement est un élément de la vie et la vie est un ensemble d’événements. La vie est un mouvement, un déploiement qui se déplie sous forme d’une succession plus ou moins aléatoire. L’homme doit être en mesure de l’accompagner ou de le suivre, vaille que vaille, selon ses conceptions et ses facultés.

Personne n’a prise sur ces mouvements incertains. Chacun baigne intégralement dans ces cycles, en soumission totale, pétri, moulé par eux. L’être a donc la possibilité par son raisonnement ou son caractère :

1-  de suivre patiemment ce cycle en prêtant attention à ce déroulement.

2-  de tenter d’organiser cet aléa de cycles.

3-  de poursuivre le cours en essayant d’anticiper.

Si l’individu accompagne l’évènement, il va prendre son temps même si par cet équipage il cherche à anticiper et à juguler cet aléa. L’homme se présente alors comme un être œuvrant à être responsable de lui-même, de ce qui l’entoure, pour tirer profit de l’enrichissement de la vie.

Cette transmutation peut également être propice à son entourage ou au milieu dans lequel il vit.

Le tourbillon a souvent des bienfaits car il accroît sa connaissance (s’il est appréhendé avec harmonie) et engendre une expérience grâce à sa panoplie d’aléas.

Cette aptitude le dote d’une certaine sagesse qui lui accorde les moyens de s’accomplir, ainsi que de certaines recettes et peut être de sa diffusion.

Mais c’est là également que l’ivresse de cette perception peut susciter un ego surdimensionné au risque de lui être fatal.

L’homme pressé ignore sa raison d’être

Là, surgit une ébauche ou un essor de son état d’orgueil car il a conscience d’acquérir un vrai pouvoir et s’abandonne à la tentation de s’isoler.

Celui qui se sent dépositaire d’une puissance colossale, décide qu’il va piloter l’évènement, le contrecarrer, parce qu’il veut le créer. Lui en a la faculté.

Ainsi il s’étourdit, culbuté, enserré comme dans une vague, tournant sur lui-même.

Et plus il va, plus l’événement le tourne et le détourne dans le vertige de la négation. Il devient le centre, il se sent l’âme, il perd ses forces. Son égotisme enfle au point qu’il ne peut tout contrôler, tout accepter. Il s’use, s’emmêle, se calcifie, se rigidifie. Pendant ce temps, l’écheveau se dévide au travers de l’aléa.

L’homme pressé, stressé bondit après cette chimère. Il engage une course poursuite, déjà en retard.

Il a écarté son intuition, séquestré toute relation, il a égaré vigueur et crédibilité dans son désarroi. Il ignore sa raison d’être et se réfugie dans son miroir. Il s’y réfléchit ou croit qu’il réfléchit sa détermination, ses envies. Il est comme le geai, il se pavane. Comme le paon, il se montre sans consistance, sans réflexion personnelle. De sa pratique nombriliste subsistent le néant, une fatigue, l’impression de tomber dans un trou noir, une spirale abyssale avec l’illusion d’être utile alors qu’il ne fait plus rien, l’impression d’être considéré alors qu’il s’est déconsidéré.

Cette description typique du goût immodéré pour le pouvoir offre apparemment des personnages bien conservés, à la présentation idoine mais dont l’intériorité est en voie de pétrification.

Sont-ils à même de transmettre leur expérience ? de prendre les bonnes dispositions pour les autres comme pour eux-mêmes ?

L’échange n’est que mirage porteur de mots, d’autres maux assez pervers pour raboter et évider le sujet lui-même.

Chacun peut en être victime, esclave d’un état où l’on s’oblige à sauver l’apparat. Inverser la machinerie et s’imposer des repères s’avère mission presque impossible. Les conséquences seront différentes selon l’humeur : jouissive, possessive ou de bon sens.

Ce n’est pas difficile de saisir la mesure de l’existence, cette notion / leçon d’appréhension, d’apprendre petit à petit à se poser, à se redresser quelles que soient les circonstances, les chocs, les agressions, les trahisons, les maladies, les accidents.

L’être qui veut anticiper l’évènement, contrecarrer son mouvement aléatoire, va essayer à tous crins de rétablir cette disparité.

Il croit pouvoir agencer le déroulement de l’aléa. C’est un subterfuge de son état d’orgueil qui lui insuffle cette idée de suprématie, cette perspective de dirigisme, cette conception de mouler comme on singe et songer que tout est la résultante de son vouloir.

Il compte imposer ses vues, ses errements et se retrouve broyé dans une démarche qui littéralement le dessèche, imprime sa présence comme le mouvement peut s’imposer à un fil de lin, sauf que ce fil n’est qu’une infime parcelle du tout.

Cette tentative d’anticiper induit des faits échappant à son propre cercle de décision.

Et ces créations forcées s’ajoutent à l’enchaînement aléatoire de la vie en l’embrouillant.

Pourquoi vouloir prédire ou prévoir l’évènement ?

La vie a un cheminement que nul ne peut entraver, où chacun est indispensable à sa propre croissance. Nous sommes partie intégrante de ce flot d’imprévus, dans l’incapacité de nous en passer. Assoiffés de ce temps, affamés de ce temps, le temps se mesure au temps qui nous est accordé car l’instant qui s’écoule n’est qu’un temps du mouvement aléatoire. Pourquoi vouloir prédire ou prévoir l’avenir ? Si on l’escorte, le fait est toujours déroulant et fournit non seulement ses tourments de façon hypothétique mais ses issues de manière tout aussi fortuites. C’est à soi de décider de ses fins : prendre ou ne pas prendre. La situation contribue à résoudre l’obstacle, donne son aboutissement sans trop d’efforts, sans tension disproportionnée, sans gesticulation pour la devancer ou la combattre d’une manière forcenée.

Garder son cap

Imaginons une inondation et nous perchés sur un tronc d’arbre.

L’équilibre est précaire. Rester sur le tronc est bien fatigant, cela ne pourra durer. Une barque passe, flotte, on y va. Elle s’échoue, on est tiré d’affaire.

Mais si elle prend l’eau et une plus solide dérive non loin, on se l’approprie. Accompagner progressivement le fait induit un découlement favorable.

On ne peut dissocier l’égocentrisme et le tourbillonnement dans une oscillation perpétuelle où la résonance permet de garder le cap, son cap.

L’ego est le moyeu sinon le moyen de s’arrimer dans le maelström. C’est une manière d’être ou une manière d’avoir.

Sans égocentrisme, on est inexistant, soumis.

Évoluer dans le respect de soi

Avec l’égocentrisme, on pense à soi, on souhaite améliorer sa position, ses connaissances. C’est la raison pour laquelle on a trois états dans le tourbillon et qu’on ne peut avancer ni évoluer sans le respect de soi.

Si l’égocentrisme c’est ─ vouloir /pouvoir ─ se regarder dans la glace, ne faire que se mirer en voulant que le reflet soit encore plus éclatant relève de l’artificiel.

L’état est bénéfique tant qu’il n’excède pas la limite de l’avoir au détriment de l’être.

Pour devenir potier ou sculpteur il est essentiel d’avoir l’habileté et de s’habiliter par le vouloir de cette démarche.

Comment ? En développant son ego.

« Je veux apprendre, je veux fortifier, je veux améliorer ».

Et ce désir va susciter l’apprentissage, le goût de regarder les autres, de dialoguer. Pour être potier, j’observe mon maître parce que je suis tourné vers moi pour m’imposer l’étude.

On peut naître avec cette inclination d’être potier, sculpteur, troubadour, musicien mais si personne ne nous aide à progresser, le péril est que notre sensibilité s’étiole.

Grand est celui qui s’élève tout seul dans son art. Il faut accompagner l’effort de vouloir se dépasser, de vouloir se s’initier.  Et qui apprend ? La volonté de l’ego, À chacun de s’en inspirer pour « mettre le turbo » (étymon de tourbillon).

En ouvrant une porte on ne sait jamais ce que l’on va découvrir derrière.

Mais si elle est entrouverte, on s’y engage et on perçoit ce qui s’offre.

Errant dans un labyrinthe aux murs désespérément lisses on marche, on marche puis dans un coin soudain le noir. On s’interroge « J’y vais ou j’y vais pas ?

J’ai faim, il faut que je trouve quelque chose pour passer ma faim. »

Un entrebâillement, on s’y enfile. Des escaliers. Celui qui nous accompagne décide de pousser un peu plus loin. Nous on s’arrête, on a de quoi manger.

À tout à l’heure… Le retrouvera t-on ? Peut-être que non.

C’est le coup de dé. On ne peut jamais savoir avant.

Prendre une porte ou une décision est une solution.

Ne pas la prendre reste sans dénouement. Prendre une décision n’est pas anticiper mais se laisser guider par l’évènement.

 

La vie n’est qu’une somme de paris.

Jouer aux échecs ou aux dames c’est miser sur le coup suivant, sur ce que l’autre va faire, sur ce qui va amener l’autre à se déterminer.

Le mouvement est à cette enseigne, non une anticipation mais l’accompagnement de l’événement.

Christine Herzog.

Article paru dans Votre Santé n°111, janvier 2009

Ajouter un commentaire