Des vies (extra) ordinaires, 11ème témoignage : Arnold

“Ma femme, ma prison”

 « Pendant vingt ans, j’ai cherché une femme. J’en ai trouvé une qui était la plus belle, la plus belle à mes yeux.Elle avait son métier. Oh, il ne me plaisait guère, j’en avais honte. Elle était gardienne de prison. C’est un métier comme un autre me direz-vous, oui mais… Peu de temps après le mariage, elle devint la gardienne de ma prison, tout était réglé, minuté. En quelques mois, ce fut l’enfer. Comme j’avais un tempérament excessivement fort, la révolte fut de même. Pas un jour, pas une nuit sans que les chaises et les tables ne volent. À ce régime, il nous fallait des chaises toutes les semaines. Si je lui cassais une chaise sur le dos, elle résistait. Elle pouvait me casser une table, je résistais. Ne parlons pas de la vaisselle, il fallait recoller les morceaux pour pouvoir manger. Alors, on résolut le problème en achetant des gamelles de fer. Un jour, dirais-je plutôt un matin, j’eus le malheur de m’endormir, le réveil fut plutôt brutal. On passa le reste de la matinée à un bras de fer, disons plutôt à un bras de corps. Nous sortîmes épuisés et nous nous épuisâmes régulièrement. Je pris du recul et je m’exilai. Mais je revenais chaque fois, comme si ce démon m’avait envoûté. Elle aussi était envoûtée. On se recherchait. Un jour, une chaise de trop, une table de trop nous firent vaciller et tomber dans un évanouissement réciproque. Au réveil, nous avions tous deux des maux de tête et de corps très violents. Un rayon de soleil apparut. On comprit que quelque chose n’allait pas. Nous allâmes voir notre pasteur pour nous confier à lui. C’était un vieil homme, veuf. Il nous fit entrer dans sa salle d’attente, nous regarda, sourit, enleva les chaises, enleva la table, enleva la porte et alla s’asseoir dans une autre pièce. Nous restâmes debout pendant trois heures. Nous allâmes nous appuyer sur le mur. Nous attendions sa visite ou quelque chose. Nous étions venus pour quelque chose, un conseil, un avis, nous voulions repartir avec cet avis… Au bout de trois heures, imaginez les fauves que nous étions devenus dans cette pièce fermée ! Alors, d’un commun accord, on décida d’aller le voir et de franchir le seuil de cette pièce. On s’approcha de lui. A notre grande surprise, il s’était endormi. On lui tapota l’épaule, il cligna de l’œil et le referma. On recommença l’opération : “Eh, Monsieur le pasteur, réveillez-vous, on a besoin de vous, de votre avis.” Il se réveilla et s’exclama : “Enfin, vous vous êtes décidés.” Interloqués, nous nous regardâmes et on se mit à exploser de rire. Il nous fit signe de nous asseoir et on l’écouta. À compter de ce jour, nous sommes devenus mari et femme. »

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