La violence

Le hasard nous fait parfois des clins d’œil. Certains, mêmes dramatiques, n’en sont pas moins évocateurs du prisme à travers lequel nous observons la réalité et ses différentes facettes. La devise autrefois inscrite au fronton du temple de Delphes était “Connais-toi toi-même” parce que cette connaissance installe la tolérance qui, au-delà des conflits, rend une réconciliation possible avec nous-mêmes et notre entourage.

Une jeune femme vient consulter par crainte de ses pulsions. Par moments lui prend l’envie de tuer. Ses peurs sont le reflet d’un esprit sain car le fou ne se pose pas de questions. Nous étions parvenues à une accalmie lorsque le problème fut réactivé brutalement par un fait divers.

La jeune et brillante danseuse étoile, professeur de danse de sa fille, avait été assassinée à l’arme blanche un soir de juin Le meurtrier avait été rapidement retrouvé. Il était déjà connu pour ses actes de violences.

« J’ai été d’autant plus touchée que je la connaissais bien. Je suis allée à l’enterrement. Un grand gala organisé par elle devait avoir lieu quelques jours plus tard.

Est-ce moi qui l’ai tuée ? Ai-je même pensé. Bien sûr que non. Néanmoins, le fait de me poser la question m’a inquiétée. Ne pourrais-je un jour passer à l’acte sous le coup d’une pulsion ? »

Si nous prenons le cas d’une femme meurtrière, on comprendra ses peurs d’être prise comme esclave, violée ou réduite à néant. Peut-être se sait-elle faible. Elle va donc réagir et se protéger par la violence, qui pourra prendre une forme active ou passive. La violence active peut être une violence irritable ou folle de passage à l’acte et la violence passive une crainte froide, une peur de s’assumer. Le résultat sera toujours l’acte meurtrier, mais nous retrouverons, en cours de chemin, la joie ou la confiance qui animera ou annihilera l’enchaînement qui fera grandir ou anéantira, qui fera croire, croître ou désespérer.

À chaque fois, elle a le choix. Donc, il faut intervenir dès que possible.

– Pourriez-vous nous décrire vos humeurs lorsque vous êtes dans un état d’énervement ?

« Et bien, à l’instant où vous me décriviez cette femme meurtrière, je me mettais dans sa peau et, en fait, je ressentais tous les symptômes que je ressens lorsque je pense “je vais le tuer”. Je peux donc vous les décrire parfaitement puisque je suis sous leur emprise.

À ce moment là, tout se resserre, tout est là mais sans y être, je suis là mais je n’y suis pas, c’est comme si à la place du cerveau j’avais deux globes, je suis enfermée dans ces deux globes, l’un étant dans l’autre.

Celui qui entoure est gris clair, celui qui est au coeur de l’autre est gris noir, mais moi je ne suis pas là, c’est comme si ma conscience était ailleurs et, dans ces moments-là, je sens des fourmillements dans mes bras. D’ailleurs, ça commence toujours dans les instants ou je me sens très fragile, et ça me ramène au moment où j’étais petite. Alors que j’avais arrêté de faire pipi au lit très jeune, j’ai repris à l’âge de quatre ans jusqu’à douze, treize ans, parce que je me trouvais moche et laide. Je pleurais toute seule dans mon coin, en disant : “j’en ai marre, j’en ai marre.” Mais personne ne s’en rendait compte et j’ai recommencé à faire pipi au lit après une grippe avec comme complication une réaction méningée. »

– Peut-être étiez-vous dans un état immunitaire déficient ?

« Oui, et à l’heure actuelle, lorsque je suis fatiguée, ces pensées me viennent plus facilement. »

– II est donc très important de prendre le temps, de ne pas s’énerver. Lorsque vous étiez petite, l’isolement a réactivé une faiblesse qui s’est enkystée, si je puis dire, parce qu’à l’époque vous vous êtes entérinée.

Aujourd’hui, il en va différemment. Vous venez me voir pour sortir de ces peurs qui vous assaillent principalement lorsque vous vous isolez dans le couple, à juste titre d’ailleurs, car votre mari vous agace par ses humeurs. II est agressif. Par sa passion, il se fâche. II se blesse donc lui-même et se retrouve de la sorte dans une mauvaise position. Acculé, il saigne et il attire les loups autour de lui.

Faites en sorte de ne pas vous livrer en pâture à vos humeurs, ni vous, ni votre mari.

Imaginons ce que cela va donner dans le temps. Prenons l’exemple des sévices qui ont eu lieu en Yougoslavie entre Kosovars et Serbes et, puisque c’est la réalité, imaginons que des Kosovars aient à vivre avec des Serbes qui ont massacré leur famille sous leurs yeux. La tendance primaire, la tendance première est peut-être de dire : “II a massacré les miens, je massacre les siens”, c’est ce qui se passe dans certains villages. “II a tué ma femme, mon enfant, maintenant je vais le tuer.” “Je vais haïr celui qui m’a chassé de ma demeure, je vais haïr celui qui m’a pris ma mère.”

Or, quelle est l’étymologie du mot haine ? Haine veut dire ignare, celui qui n’a pas la connaissance. Si on continue ce cycle “tu as tué, je tue”, on engendre un cycle permanent, on se détourne de la vie, la guerre peut durer des siècles et des siècles pour finir avec l’éradication complète de l’homme.

Bien sûr, les belligérants d’hier n’iront pas spontanément vers l’échange, mais l’échange pourra se produire par l’intermédiaire de tierces personnes, de sages, qui amèneront la réflexion par leur enseignement. Eux seuls permettront de prendre ce temps de réfléchir et d’enseigner, de faire les choix de l’effort d’échanger et de se comprendre, afin d’amener l’évolution nécessaire.

La vie ce ne peut être que la sortie du bourbier qui embourbe, englue et aveugle. C’est le premier miroir à se donner à soi-même pour que l’entourage s’y retrouve, regarde et aie envie de faire ce même pas.

Christine HERZOG

Article paru dans vous et les libertés n°1 – 1999

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