Une visite inopinée

La psychanalyse recèle parfois de grosses surprises,  même pour le thérapeute. Un samedi matin dans les fraîcheurs hivernales j’attendais une consultante quand la sonnette retentit : j’ouvre la porte et me trouve face à face avec un grand  gaillard d’ 1 m 90. Mon premier réflexe fut de penser qu’il s’était trompé d’appartement. Il me jaugeait du regard, et n’avait pas l’air étonné d’être là, il était seulement inquiet.

Son amie surgit alors, me demandant si, le cas échéant, j’acceptais de le prendre à sa place pour le rendez-vous qu’elle avait pris.

 - S’il le souhaite, répondis-je fermement.

Il n’avait pas l’air de le souhaiter si vivement, or je n’ai pas pour habitude de contraindre qui que ce soit à un travail d’intériorité.

- Je prendrai celui ou celle qui le désirera.

L’homme prit la décision d’entrer dans mon bureau.

- Cela fait longtemps que je vous connais par l’intermédiaire de mon amie.

- Réciproquement, j’ai eu quelques-uns de vos rêves à interpréter par procuration !

- J’avais énormément de réticence à votre égard, or, j’ai constaté que vous ne travailliez pas du tout comme les autres psychothérapeutes. C’est pourquoi je viens aujourd’hui et que je souhaite vous demander pourquoi vous travaillez ainsi, de façon non mercantile.

- Il m’importe peu ce que les autres font, je travaille en accord avec moi-même et selon mes possibilités. Dans cette profession, vous trouverez des gens qui vous conviennent et d’autres qui ne vous conviennent pas. Le problème est seulement d’être discriminant comme dans tous les domaines.

- Les dernières 48 heures, j’ai beaucoup changé, j’ai dormi deux heures avant-hier, et j’ai acheté une nouvelle paire de chaussures.

Joignant le geste à la parole, il me montre une très belle paire de chaussures en cuir marron ajourées.

- Donc, vous entreprenez un nouveau cheminement !

- Oui, mais quand je les ai achetées j’avais un peu mal aux pieds. Le lendemain elles m’allaient parfaitement, ce matin pour venir vous voir je boitais du pied droit.  Je  pense que c’est que je “traîne un peu de la patte” pour venir vous voir. Ma grand-mère, à qui j’étais très lié, est décédée voici un an et ces temps-ci, j’ai revu ma soeur qui habite loin d’ici avec son enfant. Elle souhaite que nous fassions une grande fête pour Noël avec mes parents. Je leur ai rétorqué que je ne pouvais pas cette année car le deuil de ma grand-mère n’était pas encore fait. Elle avait joué le rôle de ma mère et j’étais encore sous le choc de sa disparition. Bien sûr, c’était très maladroit de ma part de dire cela, surtout devant ma mère, mais la vérité est là. Ma grand-mère s’occupait  de moi et non ma mère. Donc, ils ont tous été très vexés, et pour adoucir un peu mes paroles j’ai rappelé le lendemain pour souhaiter bon voyage à ma soeur. Celle-ci extrêmement pressée m’a dit : “Bon je n’ai pas le temps çà va…” Vu le peu de chaleur à mon égard j’ai raccroché. Mon père a appelé une demi-heure après pour me dire: “Qu’est ce qui s’est passé entre ta soeur et toi ? Puisqu’il en est ainsi je ne te parle plus,  nous n’avons plus rien à nous dire”.

Nous logeons avec mon amie dans une maison de maître que nous louons à une vieille dame qui vit dans une toute petite maison, juste à côté. Or, depuis quinze jours, nous faisons beaucoup de cauchemars mon amie et moi. Je pressentais des événements négatifs concernant notre propriétaire. Effectivement depuis quelques jours les gens défilent, sans arrêt. Hier, l’ambulance est venue la conduire à l’hôpital pour une pneumonie.  Cet événement me touche d’une part parce que je suis affectivement lié à cette personne très gentille, d’autre part j’ai peur que nous nous trouvions sans logement. Nous avons eu beaucoup de difficultés à le trouver. En deux ans nous avons dû déménager au moins à cinq reprises. La première fois que nous avons emménagé ensemble avec mon amie, elle vous l’avait raconté, il y a eu un assassinat dans l’appartement situé en face. Nous avons eu peur, nous sommes partis, depuis c’est une série de changements sans fin. Pourquoi sommes nous dans une maison de maître ? Pourquoi mon père est-il si violent avec moi ? Il est prêt à m’offrir une très belle propriété, et lorsque je vais mal ou lorsque nous avons des différents il ne fait pas l’effort de me parler ou même de venir me voir, bien qu’il sache que j’étais en très piteux état. Alors, je m’interroge, pourquoi tout ce matérialisme ? Hier encore alors que l’on venait d’emmener la propriétaire en ambulance, une dame est passée, pour du démarchage pour des assurances. En fait j’ai très rapidement compris qu’il s’agissait de prostitution à domicile. Elle me faisait l’apologie de l’argent, de sa fille à éduquer, du confort matériel. Elle était très bien habillée, de très belle apparence. En grattant un petit peu la surface, j’ai très vite ressenti la souffrance, sous son masque et sous ses avantages. J’ai discuté avec elle. J’ai essayé de lui montrer que la vie ce n’était pas par ce chemin là, qu’elle se fourvoyait. Je n’ai pas été agressif du tout car je la sentais très malheureuse au fond d’elle-même alors qu’elle donnait l’apparence d’être heureuse.

C’est une leçon pour moi-même de parvenir à lui faire prendre conscience et à engager le dialogue. C’est vrai, j’aurai pu aussi bien coucher avec elle, c’était facile.

Un déclic s’est fait en moi ces jours-ci. J’avais tellement la crainte de ne plus avoir ce logement que je suis allé voir une personne très aisée de ma famille. Elle vit dans un gros château et a hérité de la petite maison de ma grand-mère où j’habitais.

Je lui ai demandé si, le cas échéant, je me retrouvais sans domicile elle consentirait à nous la louer à un tarif normal. Ma tante a été très claire : elle a refusé tout net :

“Je le pourrai, c’est vrai, mais je ne veux faire aucune affaire avec la famille, c’est un principe, je ne veux pas d’histoires !”

Précédemment devant un refus, j’aurais été extrêmement agressif, peut être  aurais-je essayé de discuter plus ou moins gentiment avec elle. Je me suis dit à quoi bon épiloguer ?  Sa décision est prise. M’énerver ne changera rien. J’ai pris le parti de discuter avec elle. J’étais venu là pour une raison, autant profiter de cette rare rencontre pour échanger sur mon enfance. Je lui ai raconté le secret de famille de mon enfance afin d’avoir son avis et peut-être apprendre d’autres événements.

Effectivement, l’entretien m’a beaucoup apporté. J’étais content de ne pas être resté sur un plan négatif, d’avoir pu aboutir malgré tout à un échange fructueux tout en respectant sa position qui au fond est peut-être légitime, même si elle ne m’arrange pas. Je lui ai raconté ceci : J’avais été un enfant martyr et j’ai compris pourquoi, mon père buvait ! Il avait fait la guerre d’Algérie, il avait subi des tortures. Il me battait quand j’étais enfant j’en ai encore les marques partout… Je crois que son comportement vient du fait qu’il a été lui-même torturé.

- Votre mère adoucissait-elle les choses ?

- Pas du tout, elle aussi me martyrisait, ma mère aussi a connu la guerre. Elle est née sous les bombardements, mon grand-père paternel a été aussi prisonnier des stalags. Lorsqu’il est revenu il a fait l’amour à ma grand-mère et ils ont eu un enfant trisomique, on comprend pourquoi. Il est mort trois mois après sa naissance.

Je crois que ça montre bien les effets traumatisants de la guerre. Je dois ajouter que je porte la chemise de mon père et son ceinturon. Ce sont les seuls liens entre nous, çà montre quand même que je l’aime, on ne porte pas une chemise de quelqu’un que l’on n’aime pas. Mais, le col de la chemise est élimé, il va être temps que je l’abandonne, d’ailleurs le fait qu’il m’ait dit qu’il n’y a plus rien entre nous m’a montré le chemin, je n’ai plus de parents, je ne peux pas avoir d’aide de ma famille, ma vraie famille, dorénavant c’est mon amie. J’ai donc compris que désormais, j’étais un homme. J’ai aussi compris que votre enseignement a fait son chemin. Vous le remarquerez au travers de mes paroles. Parfois je reprends vos propos et vos conceptions, c’est vrai.

J’ai un problème spirituel : devenir homme. J’ai un métier spirituel, je suis artiste, c’est donc une réponse spirituelle que je dois apporter et non pas des médicaments comme ce que l’on m’a donné lorsque j’étais dépressif. La solution ne peut venir de là. Maintenant, c’est évident pour moi, l’homme n’est qu’un souffle, une note, inscrite sur une portée.

- Tout dépend de la portée qu’on veut lui donner

- J’ai aussi compris pourquoi j’ai été dans une maison de maître, cela était pour recevoir des leçons et peut être à mon tour pouvoir en donner, communiquer ma connaissance.

- Oui mais n’oubliez pas que l’on doit jamais juger. Il faut toujours avoir la compréhension de l’homme, la compréhension de soi-même, les leçons les plus difficiles sont celles que l’on a, à prendre et à se donner à soi-même.

- C’est vrai ! Puisque notre entretien se termine je voulais vous présenter mes excuses pour toutes  les critiques que j’ai pu formuler contre vous.

- Puisque vous m’en faites demande, c’est donc me donner mandat et, en le recevant, vous mettre en état de confiance.  Alors puisse l’évènement apporter la grâce ! A bientôt, vous ne me devez rien !

Je fus très touchée, le jour de Noël, de trouver dans ma boîte aux lettres, deux cadeaux dont son oeuvre musicale sous forme d’une cassette numérique.

Quinze jours plus tard, son amie revint me consulter pour un problème de famille. Il l’accompagnait et me demandèrent à être reçus ensemble. Tous deux avaient une parenté alcoolique et des problèmes similaires à résoudre.

Elle :

- Je ne sais pas ce qui lui est arrivé après votre entretien il a été sur un nuage une semaine et comme malade, bouleversé presque en délire la seconde, je lui ai dit qu’il fallait qu’il retourne vous voir.

Lui :

- Je pense que vous avez touché du doigt l’essentiel et j’ai été remué, mais je me sens changé en profondeur et bien malgré l’apparence de la 2e semaine.

- Je n’ai été qu’un instrument de résonance à un instant précis. Je ne suis nullement inquiète de cette réaction. Je pense qu’au contraire, elle a expurgé tout ce qui vous encombrait et vous a permis peut-être de ne pas être malade de ces non-dits.

Elle :

- Au moment où il était au plus mal, nous nous sommes promenés dans les champs autour de chez nous et là où nous nous sommes arrêtés, une vache pleurait. Qu’en pensez-vous ?

- De temps à autre, j’observe des phénomènes de “matérialisation” certains sur des animaux. Peut être avez-vous effectué à votre insu un transfert de vos pleurs, des “vacheries” ressenties, sur cet animal ?

Lui :

- A un moment donné, j’ai effectué la vidange de la voiture et alors que j’étais à quatre pattes en train d’opérer, un rossignol est venu se poser sur mon épaule très longtemps. Puis il est resté à côté de moi à m’observer. Je n’avais jamais vu cela.

- La vidange du mental de la carcasse, favorise la venue de l’esprit du renouveau qui fait chanter le coeur et donne des ailes pour reprendre une route nouvelle.

Lui :

- Je suis allé voir mon père pour mettre en paix avec lui et au lieu d’avoir une grande explication qui aurait vraisemblablement tourné au vinaigre j’ai choisi d’apporter un message ” je t’aime” sans autre parole. L’amour a ouvert les portes du coeur. Quelques jours plus tard, il m’est arrivé un événement qui aurait pu être dramatique. Je crois qu’il n’est pas innocent. Quelque chose s’est ouvert en moi. Mon amie m’a dit que je devais mettre les choses en place tranquillement. Mais que voulez-vous, c’est ma nature ! Lors du premier entretien je vous avais dit être un gaucher contrarié, et vous aviez répondu que de la sorte j’avais la chance de pouvoir être ambidextre, ce que chacun devrait pouvoir faire. Vous avez fait allusion sans le dire à ma façon négative de voir les choses.

- Si on ne voit qu’une face on est borgne, alors qu’il est tellement agréable d’ouvrir son champ de vision et d’écoute.

- Donc, je suis allé voir toutes les personnes en particulier âgées de la famille pour renouer, voire réconcilier ou encore comprendre. Je pense aussi faire ma généalogie qu’en pensez-vous ?

- Je pense que la vie est le présent, voire le futur, non le passé. Les visiter est au demeurant satisfaisant pour tout un chacun mais par vos choix de vie et vos attitudes vous serez libre de prendre dans la généalogie et ailleurs  le meilleur et non le pire.

- Les retrouvailles ont été si intenses avec mon père qu’il m’a pris pour la première fois sur ses genoux.  Vous imaginez un grand gaillard de mon âge, 90 kg, sur les genoux de son père ! Eh bien ! Je change, mon enseignement est différent, et les gens changent autour de moi de ce fait et pour couronner le tout, j’ai fait une crise cardiaque tant la chaleur, peut être l’émotion, étaient intenses.

Mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père ont des malformations cardiaques, c’est génétique ! Mais la crise à cet instant précis de ma vie, de cette ouverture, je pense que ce n’est pas anodin et pas seulement physique.

J’avais déjà eu un épisode similaire moins grave à 19 ans. Paralysé par le manque d’air …

Ma mère qui avait vécu cela une fois avec mon père m’a immédiatement massé la paroi cardio-thoracique et réanimé mais mon coeur est resté sans battre quelques instants… Or, depuis que je vous ai vu, je cogite sans cesse, tout s’est accéléré dans ma vie ! J’ai pris conscience par exemple si on superposait les mots HOMME et FEMME en majuscule, je sais que vous vous intéressez beaucoup aux êtres et aux lettres :

le H et le F confondus forment le A de Amour

le O et le E le symbole du Yin et du Yang.

J’ai aussi effectué un rêve, la veille de l’arrêt cardiaque.

J’avais emporté des vêtements dans un bar-pressing-épicerie, la dame du commerce me dit “vous pouvez revenir demain, cela vous coûtera 60 francs”. Le lendemain en allant le chercher,  elle me dit que cela me coûtera 6 000 francs nouveaux et elle exerce un chantage “Si vous ne payez pas, je vais dire partout que vous avez acheté une revue porno” ! Je lui réponds j’assume”.

J’ai pensé que c’était peut être la somme totale que je mettrai pour être bien, le prix à payer pour être propre et en tous cas assumer ma sexualité.

- Le prix à payer c’est plutôt croître et multiplier votre énergie et assumer votre être, votre relation amoureuse, éventuellement  les revues pornos pour accéder à un renouveau. Quel genre de boutique était-ce ?

- Le genre où il ne faut plus mettre les pieds. Le tout et Le n’importe quoi !

- Le bar : vos tendances à l’alcool et la porno, l’épicerie, boisson et nourriture à revoir.

- Certes et Le pressing ? La pression que je ressens en permanence, le stress je veux me faire laver par autrui, j’accuse les autres des problèmes. Je veux assumer ce que je suis, ma partie homme et le côté féminin.

- La décision d’assumer et lâcher vos tendances vous blanchit et permet de retrouver un devenir harmonieux.

Quinze jours plus tard, je revis son amie :

- C’est un changement radical qui s’est opéré chez lui. Remarquez, heureusement, je ne le supportais plus ! Il critiquait tout et tout le monde sans discontinuer. Toujours à me harceler de remarques négatives. Il ne comprenait pas que j’essaie de m’alimenter sainement et que je cultive un petit bout de jardin. Il  se moquait du bio…

Maintenant, il me dit que c’est une nécessité pour lui de retrouver ses racines paysannes. Il est très attentif au choix des aliments. Il a fait nettoyer son puits et ne veut plus boire n’importe quoi. Il s’irrite que son père ne lui apprenne pas à cultiver. Il cherche quelqu’un pour son lopin de terre, se préoccupe du problème du remembrement des terres familiales. C’était une guerre sans fin avant pour apporter le moindre petit cadeau lorsque nous étions invités, “ils n’en n’ont pas besoin, ça ne sert à rien”. La famille est  très perplexe, décontenancée. Pour Noël, il a offert des cadeaux à tout le monde. Il a des attentions pour moi, nous avons beaucoup discuté, échangé. Il essaie de me comprendre. Il se levait à midi tous les jours et ne faisait rien dans la maison. Dorénavant, il est actif dès le matin. Il a compris que je ” tirais” la relation et à son tour fait effort. Tout cela du jour où il est venu vous voir la première fois. La semaine où j’ai cru qu’il allait devenir fou, je l’exhortais à revenir, il me parlait sans cesse dès que je rentrais du travail. J’ai cru étouffer. En même temps, ses observations, les relations qu’il effectuait entre les événements, sa compréhension fine des choses m’ont stupéfiée. Je lui ai dit “en quelques instants tu comprends ce que j’ai mis des années à effectuer”. C’est comme si une clé était entrée et, tout, tout, tout se déballait, s’organisait d’un seul coup. Cela a été tellement brutal et fulgurant que j’ai été choquée. Et la crise cardiaque ! Quel événement ! Peut-être est-il allé trop vite ? Mais il avait tellement à faire. Je lui ai dit : “on aurait placé de la dynamite à côté de toi, tu n’aurais pas bougé”. C’était un roc inébranlable, j’étais épuisée. »

- Pour revenir à la crise, pourquoi serait-il allé trop vite ?

C’était le temps où l’événement devait se produire dans des circonstances sans danger puisque la mère savait exactement quoi faire. Il faut retrouver la vie, le sens de la vie. Nul ne peut connaître les tenants et les aboutissements de sa vie. Chacun parcourt un cheminement qui lui est propre, conforme à ses choix.

C’est la preuve qu’on peut changer du jour au lendemain, découvrir un nouveau champ mais ce passage fulgurant s’accompagne de tumultes que les adeptes du “lentement mais sûrement” ne rencontreront peut-être jamais. Ne vaut-il pas mieux franchir le ravin rapidement ?

Est-ce l’événement nécessaire pour accéder à une nouvelle vision ?

Prévu ou imprévu ? Qui peut savoir ?

Si on retrouve le plaisir de la vie, quel que soit le prix à payer pour le passer, pour effectuer ce “passement” alors le pincement sera plus profitable pour comprendre ce qu’est le “Pince me”.

 Christine HERZOG

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