Sous hallucinogène … On ne rêve pas à l’hôpital psychiatrique

Laurent a 20 ans. Il est hospitalisé déjà depuis cinq ans régulièrement en hôpital psychiatrique. Il prend des médicaments depuis quatre ans. Il dit avoir été entraîné par un grand frère qui est en fait son demi-frère, le fils de son père, fonctionnaire, remarié avec sa mère, fonctionnaire aussi.

Il est en conflit avec ses parents. Il a l’habitude de fumer et, d’hallucinogène en hallucinogène, son physique s’est dégradé, ce qui induit des angoisses de mort, des idées de persécutions et des douleurs.

Voici un exemple de rêve qu’il lui arrive d’effectuer fréquemment. Il l’a effectué après avoir fumé un dimanche après-midi. Il avait alors dix-sept ans et a voulu fuguer.

«  Je pensais que j’étais le démon et les autres les anges et les archanges. Toutes les ides vengeresses me passaient par la tête. Des pensées assassines ou morbides jaillissaient du style : pousser mes amis dans un gouffre ou d’une falaise, les poignarder etc.… J’étais dans un tel état que je n’arrivais même plus à penser. »

Ce type de rêve traduit les images qui peuvent envahir un sujet sous dépendance et amener à un dédoublement de personnalité.

Laurent ne sait plus s’il est le démon lui-même. Jusqu’à des passages à l’acte éventuels lorsqu’il est sous l’emprise du démon.

L’actualité judiciaire donne ponctuellement des exemples de meurtre sous dépendance : dix ans après le meurtre d’une jeune collégienne de treize ans et demi, des charges suffisantes sont réunies contre deux frères qui étaient ses voisins. L’un deux, Alain, le chef parle du crime à ses potes. Il décrit la scène du crime par flashs sans avouer qu’il y a participé mais en donnant des détails qui ne peuvent être connus que des coupables. Il avoue sans avouer. Il flirte avec l’aveu tout en s’abritant derrière sa débilité, incontestable. A l’époque du crime ils squattaient dans le secteur et venaient picoler jusqu’à plus soif, jusqu’au coma éthylique. «Est-ce que c’est nous qui avons fait cela quand nous étions saouls ? », demande Alain.

Laurent est terrorisé par un autre rêve qu’il qualifie d’ignoble :

« Mon esprit quitte le corps, je me retrouve dans un camp de concentration où sévit la persécution totale. Les gens sont tous chauves, ils ont tous des cancers. C’est comme un film, je suis le seul terrien sur une planète. Tous ces gens me courent après, je m’envole et je me retrouve dans une vieille usine désaffectée, immense en longueur. Le sol est crade, je ne voulais pas m’y poser, car il y avait beaucoup de rats, des égouts et de l’eau sale ».

Et puis, à côté de ce rêve, j’ai des pertes de contrôle, je ne sais plus qui je suis.

C’est quelqu’un d’autre qui me contrôle. Je dois dire qu’en hôpital psychiatrique j’essaie d’arrêter de fumer puisqu’on me fait des cures de sevrage mais en réalité on dort.

On ne rêve pas en hôpital psychiatrique !

Ces cauchemars reflètent l’état désespérant où s’enferme Laurent dès lors qu’il abandonne le contrôle du Moi et du corps. L’hallucinogène ne peut plus être qualifié de drogue douce lorsque l’on perçoit l’enfermement et la douleur qu’il engage. Ce monde de non-vie et de négativité morbide crée des réminiscences chez Laurent dans lesquelles il s’empêtre.

Il n’a plus d’autre issue que de s’envoler, une fuite en avant dans le mirage de la ganja. Il a pénétré par effraction un monde hallucinant qui n’est pas prêt de le laisser s’en affranchir.

L’herbe douce dans laquelle le bonheur se glane est un mirage qui l’aspire vers une descente aux enfers, un cercle vicieux qui ne peut être vaincu que par une volonté de fer.

Ce témoignage, malgré lui, est poignant de la férocité du monde hallucinatoire. Désherbant au point de rendre chauve de toute velléité, annihilant comme les gardiens de camps de concentration auraient rêvé de voir le prisonnier se détruire par ses proches moyens, son cancer intérieur.

On n’a rien inventé de mieux depuis le goulag sauf que Laurent se l’impose de son propre chef.

Laurent me livra une de ses pertes de contrôle, une vision cauchemardesque :

« Je suis resté bloqué sous un champignon hallucinogène sur le visage déchiré de la figure de Peter Gabriel (le chanteur que j’adore sur un magazine d’Actuel) sur un morceau de Jefferson Airplane. J’allais plus vers le moins que vers le plus. A voir ensuite. J’étais tombé dans un trou et voyais des gens par milliers. Je me suis identifié à une personne dans une BD et l’engrenage a commencé ».

Si nous essayons de décrypter ses propos à la limite du délire nous pouvons repérer dans Peter Gabriel son aspect écorché et son aspect normal.

Peter Gabriel, musicien talentueux reste sa figure emblématique un demi-archange par opposition au demi-démon à face écorchée.

Le dédoublement éclate ici à la face de Laurent qui pour s’élever au-dessus du cloaque des rats d’égouts doit effectuer le choix du dégoût du vide dans lequel il se sent tomber.

Le vide c’est le néant, le monde de l’ombre qui pourrait le conduire aux pires atrocités s’il ne s’en affranchit pas. Ses parents ne lui imposent rien non plus ce qui ne lui facilite pas la tâche. Il souhaiterait avoir un diplôme de batteur pour être heureux avec femme et enfants, dans un équilibre relationnel et sportif, mais il ne fait rien pour l’instant.

Écoutons Pierre Reverdy : « Le rêve est un tunnel qui passe dans la réalité. C’est un égout d’eau claire, mais c’est un égout ».

Restera-t-il esclave de ses drogues ou saura-t-il puiser dans les dégoûts de ses nuits, le désir d’apurer la situation ?

Christine HERZOG

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