Des vies (extra) ordinaires, 9ème témoignage : Jorgi

“Espoir ou désespoir ?”

La vie est ce rêve de beauté, ce rêve d’harmonie, qui délivre non seulement l’espoir mais aussi l’espérance. C.H.

« Ma vie, mon enfance se passa dans le milieu des affaires, dans le milieu industriel. Pour tout vous dire, je suis né en Prusse orientale. Etant donc d’un bon milieu prussien, j’avais le choix entre le métier des armes et le métier industriel, c’est-à-dire l’honneur ou l’honneur financier. Et quand on parle d’honneur financier, on parle surtout d’un certain honneur à s’accaparer les biens des autres. Je suis donc devenu un excellent stratège sur ce point.

Comme les événements s’y prêtèrent, je devins un industriel très remarqué dans la vente de certains matériels. J’ai développé et mis au point tout un appareillage de construction militaire et durant toute cette période de guerre, mon entreprise fut florissante. Quand la guerre s’arrêta, l’activité s’arrêta également. Tout mon personnel fut pratiquement mis au chômage. Je constatai alors de visu le délabrement moral et matériel de l’ensemble de mon personnel. La peur me prit au ventre y resta, me tenailla. Je venais de comprendre que si j’étais un chef, un responsable, j’avais aussi des bouches à nourrir. J’étais devenu un père de famille nombreuse. Pour y remédier, je n’ai pas eu de peine à me reconvertir dans l’escroquerie industrielle. J’ai vendu des canons, des armes à qui voulait les acheter. L’espoir revenant, mon personnel recommençait à devenir et à redevenir dans un état relationnel d’homme. Cette expérience m’a fait toucher du doigt que le désespoir est le pire ennemi de l’homme. Que le désespoir n’amène que lâcheté. Je reconnais que mon action d’homme d’affaires ne fut pas très élégante, je pourrais dire d’homme pourri et véreux, humblement. Mais que faire quand vous touchez le fond de l’abîme ? Donnez-moi une recette, donnez-moi la manière de nourrir 958 hommes et femmes autrement. Ce qui signifie que si le monde industriel, le monde financier, si la finance, étaient honnêtes, il n’y aurait pas de pain pour tout le monde. Disons même qu’il n’y aurait pas de pain du tout.

En tant que responsable, devons-nous nous croiser les mains et attendre que notre personnel disparaisse et fonde dans le désespoir ? Devons-nous cultiver la haine ou devons-nous nous battre pour donner espoir, donner à manger ? Etablir des principes, des préceptes, c’est bien. Les respecter, c’est encore bien, mais sous quelles conditions ? Sous quelles conditions devons-nous poursuivre de tels travaux ? Est-ce que les systèmes mis en place, les systèmes sociaux, les systèmes administratifs, les systèmes politiques sont adéquats ?

La conclusion est que se battre pour de tels systèmes, c’est comme se battre contre les ailes de moulins à vent que vous ne pouvez pas changer du jour au lendemain malgré votre bonne volonté, malgré les bonnes volontés. Alors, dans l’urgence, il faut agir.

Est-ce que l’urgence permet tout ? L’urgence permet, à mon avis, de sauvegarder le principal, c’est-à-dire donner à manger, faire que l’espoir renaisse et lutter contre la haine, la vengeance ou la jalousie. Une société ne peut pas permettre de laisser dans le désespoir. Une société ne peut pas permettre à ses composants de tomber dans l’angoisse du désespoir. »

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