Moi, je

Victor est un ancien combattant des forces spéciales de la Légion, c’est un homme hors du commun par sa force et son courage. Paradoxe, Il se voit trahi par sa virilité quand il pourrait s’en servir.

L’objet de tous ses désirs est aussi le sujet de tous ses tourments puisqu’il est amoureux d’une nymphomane qui ne se prive de rien ni de personne… Le drame est d’autant plus intense que Victor est doté d’une intuition exceptionnelle. II ressentait dans son corps des douleurs atroces chaque fois que l’élue de son coeur avait une relation. L’intuition est là.

– Si seulement vous pouviez l’orienter sur un domaine positif et non à des fins martyrisantes et exclusives !

J’engageais Victor à réfléchir aux douze travaux d’Hercule et à me donner le fruit de ses cogitations. Il prit cela pour une boutade de ma part.

– Mais je n’y connais rien à la mythologie! Quel rapport cela a-t-il avec mon problème ?

– Le rapport, c’est que lorsque vous aurez fini de comprendre les douze travaux, votre problème sera résolu.

Victor suivait en même temps une cure de musicothérapie.

– La “musico” m’aide à ne plus me voiler la face par rapport à mon amie. J’ai l’impression qu’il y a une règle de cause à effet. Mon amie, c’est la synthèse de ce que j’ai fait ressentir à autrui durant toute ma vie La castration dont je souffre, c’est ce que j’ai fait subir, c’est ce que me souffle mon imagination. Je crois que je n’avais pas le droit de faire vivre à mon amie une situation d’enfermement sous prétexte d’amour alors que j’étais impuissant à la satisfaire. Alors, j’ai commencé la recherche sur le travail que vous me proposez, me dit-il d’un air entendu, comme si je lui faisais subir un écorchage avec la mythologie.

– Eh bien, le premier des travaux c’est de tirer le lion et de l’écorcher alors que ce lion était doté d’une peau que rien n’entamait.

Ce lion habitait une caverne à double entrée

– Ça signifie, je crois, que, dans la vie, il y a toujours une porte de sortie afin d’éviter les faux-fuyants, les faux semblants. J’ai plus de soixante ans à l’heure actuelle, je m’aperçois que j’ai toujours fui, toujours louvoyé et pris les sorties de secours. À une époque de ma vie, j’ai rencontré une jeune femme follement amoureuse de moi, très belle. Ma femme, qui avait un amant, était partie de la maison. Lorsqu’elle est revenue, j’ai pensé “la pauvre, elle doit être si malheureuse” et j’ai plaqué celle que j’aimais et qui m’aimait, par devoir et par peur de faire mal. Depuis je suis dans le mal-être comme mon entourage. Je n’ai plus jamais connu la réciprocité dans l’amour.

Hercule trouve le lion et tous ses essais s’avèrent infructueux (sauf le coup de massue qui fit tinter les oreilles du lion)

– C’est tout de même curieux que moi aussi j’ai un problème d’oreilles. J’ai les oreilles qui sifflent. Une bonne raison pour laquelle je fais de la musicothérapie. C’est en rapport, je pense, avec tous les coups sur la tête que j’ai pris.

– C’est aussi une façon d’avoir un nouvel “entendement” !

– Je mets aussi cela en rapport avec ce que vous m’avez dit au cours des entretiens précédents, à savoir que mon tabac, toujours présent dans ma vie, c’est une façon de me tuer. Et si je ne me débarrasse pas du tabac, je ne résoudrai pas mon problème. Vous m’avez dit que c’était ma drogue au même titre que mon amie était ma drogue et que je devais effectuer un sevrage d’abord au niveau du corps pour ensuite effectuer celui de l’esprit. J’ai diminué le tabac parce que c’est une façon de se tuer lentement, c’est vrai, le corps ne réagit plus de la même façon. Vous m’avez bien dit que le combat était vis-à-vis de moi-même et non vis-à-vis de mon amie, mon amie n’est que l’expression d’une situation dans laquelle je suis enfermé, asphyxié. Et moi, j’ajoute au tabac le café qui tue aussi le lion…

Hercule bouche une des entrées et tue le lion par une prise au cou (il le prit à bras le corps)

– II faut se prendre à bras le corps, ne pas s’autoriser d’erreur. La prise au cou peut signifier que le manque d’air a tué le lion, c’est donc le café et le tabac qui m’asphyxient. Tant que je n’aurai pas arrêté ces deux prises, je serai encore soumis.

– Oui, je peux ajouter, que votre infarctus était un gros coup sur la tête qui vous signifie maintenant : il y en a marre d’être asphyxié, ça ne va pas, il est temps d’écouter son corps et surtout son coeur afin de s’extraire de la dualité et de la fuite. II y a des moments où les décisions sont à prendre sinon on perd tout et surtout on se perd.

Hercule ne savait pas comment s’y prendre pour écorcher le lion et, par inspiration divine, il eut l’idée d’utiliser les propres griffes du lion et bientôt il put revêtir sa peau invulnérable et s’en faire une armure

– Nous possédons nos propres armes pour arriver à bout de la carapace que l’on s’est forgé. D’ailleurs dans mon cas, ce n’était par une carapace, c’était une véritable armure. Et cette armure utilisée autrement peut devenir une protection efficace à condition de ne pas s’y enfermer.

Ils firent ensemble un sacrifice à Zeus sauveur

– Je crois que c’est le fait d’élever sa pensée au niveau du divin pour ne pas se laisser parasiter par des vibrations basses telles que la jalousie, la rancune, l’envie ou l’agressivité.

– Je mettrai tout ceci sous le terme générique “MOI, JE”. Votre travail est remarquable, on pourrait juste ajouter que dans Némée vous avez le “nez”, le fait de sentir, mettre son nez.

– J’ai d’ailleurs beaucoup de polypes dans le nez… II était donc bouché !

La discrimination ne s’effectuait point jusque-là, Victor était prisonnier d’un système névrotique qui lui faisait prendre la négativité pour le désir et cela lui encombrait ses fosses nasales donc son espace aérien comme une tumeur par inversion du sens de la vie.

L’ego, qui nous mène par le bout du nez, fait naître, au travers des morts symboliques successives, la notion d’unité pour ouvrir, un jour, la porte de l’Amour.

Christine HERZOG

Article paru dans Vous et les Libertés n°3 – 1999

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