L’enfant et l’échec Scolaire

« Bertrand a parlé très tard, il déformait tous les mots. Nous, ses parents, avions toujours espoir que ce problème de langage se résoudrait à l’école. Mais quand il fut en grande section, sa maîtresse me confirma son retard et moi, sa maman, je refusais d’y croire. Au bout d’un mois de scolarité en C.P., la nouvelle institutrice me conseilla l’orthophoniste. »

Après un test, Bertrand a suivi une rééducation de cent vingt séances échelonnées sur quatre ans, en raison d’un important retard de langage au départ et d’une dyslexie dysorthographique, ensuite, avec de graves perturbations grapho-phonétiques (inversions, confusions, élisions de sons).

Au cours de cette longue rééducation à mon cabinet, Bertrand a toujours progressé, mais son évolution fut très lente.

Les difficultés essentielles ont toujours gravité autour du langage : manipulation verbale difficile, mauvais apprentissage de la lecture, textes déchiffrés sans compréhension. Pour éviter une lassitude prévisible, nous avons décidé d’arrêter momentanément la rééducation.

Une classe pour enfants à problèmes

« Après un conseil de classe, on me proposa de rencontrer un psychologue scolaire. Mon fils passa des tests, seul, fit des dessins, eut des entretiens. Le psychologue me proposa alors de l’orienter vers une classe de perfectionnement, me disant que, dans un ou deux ans, je pourrais l’en retirer, tout en continuant la rééducation chez l’orthophoniste. Cette classe de perfectionnement était vraiment le lieu où l’on mettait les attardés. Dans mon village, c’était surtout les enfants de paysans et d’ouvriers. Tous étaient dans le même cours. Mais où les notables plaçaient-ils leurs enfants en difficulté ? J’ai longtemps pensé que les difficultés scolaires étaient surtout le fait de gens comme nous, des parents n’ayant qu’un certificat élémentaire et ayant un métier manuel. Le coeur gros, nous avons accepté cette solution et dialogué avec notre fils car il ne voulait pas y aller. Bertrand avait fait un CE1 normal. J’avais donc insisté pour qu’il passe en CE2 qu’on lui donne une chance, mais mon fils m’a dit au bout de trois mois d’école: “On ne m’interroge pas et on ne me fait pas lire.” Ceci, je tiens à le signaler. Bertrand est donc entré en perfectionnement pour trois mois. Le maître était sympathique et mettait mon fils à l’aise: “Votre Bertrand a des difficultés, mais il n’est pas le plus nul de la classe, il devrait y arriver, à douze dans la classe, cela devrait être parfait.” Le matin ils travaillaient, et l’après-midi était réservée au sport et au bricolage. Il a même fabriqué une guitare. Cela m’inquiétait. Je pensais qu’il avait des choses bien plus importantes à apprendre.

« En décembre, il ne savait plus ni les tables, ni les verbes. Le maître partait très souvent. II y eut plusieurs remplaçantes qui n’avaient pas les mêmes méthodes. En février, Bertrand ne savait plus rien faire. Sans parler des autres enfants, des caractériels. Mon fils pleurait tous les matins pour ne pas aller à l’école, me reprochant de l’avoir mis dans une classe de “gogols” !

De l’intérêt des classes aménagées

« J’en ai parlé avec mon médecin de famille. II n’était absolument pas d’accord avec le “psy”, mais ne voulait pas trop se mouiller et ne voulait surtout pas nous aider à voir plus clair. Bertrand était asthmatique et très souvent malade. Une amie infirmière me conseilla l’homéopathie. Le docteur qui était aussi iridologue, me dit que mon fils avait eu des chocs psychologiques. Bertrand dormait très peu et avait toujours très mal au ventre. Il fallait absolument le sortir de cette classe. Il a donc terminé son année, mais quelle année ! La directrice m’accusa d’être responsable de la mauvaise adaptation de mon fils. L’orthophoniste me parla alors d’une école normale à effectif réduit, à Sainte Cécile, en Vendée. Des familles contactées m’affirmèrent qu’on y faisait bien travailler les enfants et que quelques-uns avaient réussi leurs études. J’ai donc annoncé à la directrice ma décision de retirer mon fils. II a fallu passer devant une commission. Ils étaient une bonne quinzaine autour de moi, “psy”, médecins, parents, maîtres. J’ai subi là des moqueries, des paroles déplaisantes. Après un mois d’attente, j’ai appris qu’il était accepté. II suivit dans cette école les CE2 CM1, CM2. Bertrand se plaisait mieux dans ce milieu, il était avec des enfants intelligents. Une jeune institutrice répétait les cours qu’ils n’avaient pas compris.

« Je n’aurai jamais le bac »

Bertrand passa en 6ème dans un système traditionnel et là, ce fut l’échec total. II n’avait plus de mémoire du tout, ne comprenait plus rien. II pleurait, me disait souvent: ” Mon cerveau ne fonctionne plus et je ne ferai rien dans la vie, moi je n’aurai jamais le bac.” Nous nous sommes orientés vers un travail manuel. Les professeurs m’ont également parlé de l’association ARABEL[1]. Bertrand voulait faire un métier qui se rapprocherait de la nature, paysagiste horticulteur. Nous avons commencé la cure en avril 1992. Bertrand a pris confiance en lui, désormais il s’affirme. En maison familiale, cela se passe bien, les résultats scolaires ne sont pas si mauvais. Les professeurs m’on dit qu’il arrivera à passer un BEP en horticulture. On m’a même dit que j’avais exagéré en le décrivant comme un enfant timide, renfermé, qui ne parlait pas. Bertrand est bien dans sa peau, il a repris confiance en lui, pose des questions. L’école par alternance lui convient très bien. Nous, les parents, sommes heureux de pouvoir témoigner, car les échecs scolaires et les mauvaises orientations sont des sujets tabous, dont les médias ne parlent pas. »

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