Devinette sur les raisons d’une stérilité

Qu’est-ce qui est très long, croquant, omniprésent dans la cour de récréation ?

Tel est le dilemme fondamental qui devait conduire cette jeune femme de trente-cinq ans à me consulter, en cette fin d’après-midi de novembre. Cette jolie brune, aux yeux bleus, un peu chétive est inquiète et tendue, son assurance réside dans son regard qu’elle braque directement sur moi.

- Je viens vous voir parce que j’ai entendu parler de vous. J’ai suivi un psychiatre pendant un an et au bout d’un an je considère que cela ne m’a rien fait, seulement c’était remboursé alors j’ai commencé par ça…

- Cela a rempli les bourses du psychiatre, un peu plus vidé celles du contribuable et apparemment pas résolu votre problème. Quel était-il ?

- Mon mari et moi essayons sans succès d’avoir un enfant depuis six ans. Je suis d’un tempérament stressé, angoissé et je finis par en faire une obsession. Au cours de cette année avec le psychiatre, j’ai senti que je n’allais pas suffisamment puiser en moi, que cela ne permettrait pas de trouver ni les causes, ni de résoudre les problèmes, si tant est qu’ils puissent être résolus, ce que j’espère.

- Avez-vous des rêves hormis celui d’avoir un enfant ?

- J’ai souvent rêvé que j’attendais un enfant et je l’annonçais à mon mari avec toute joie possible, hormis cela je ne me souviens de rien, d’aucun rêve.

- Depuis combien de temps êtes-vous ensemble ?

- Nous sommes ensemble depuis dix ans et mariés depuis quatre ans.

J’étais embarrassée: il n’y avait pas d’éléments a priori patents.

- Votre enfance, votre accouchement, la grossesse de votre mère ?

- La grossesse, parfaite, je suis la seconde. A l’accouchement il me semble avoir entendu dire que j’avais un cordon enroulé autour du cou mais qu’on a déroulé assez aisément. Je sais aussi que lors de mon accouchement, ma mère avait mordu au sang mon père qui la tenait par le bras.

- Votre mère semble donc assez mordante !

- Oui, elle est surtout très autoritaire, elle dirige, elle juge, elle compare.

- À l’aune de quels critères ?

- Surtout de la reconnaissance sociale, elle en est usante. Je pensais que c’était assez normal d’être comme ça et la vie de couple m’a montré que je reproduisais ce que j’avais vu pendant vingt ans à la maison. C’était une erreur, j’estime que j’ai mis dix ans à arriver à être deux.

- Si vous avez mis ce temps pour arriver à être deux, il est normal que vous en mettiez plus pour arriver à être trois peut- être pas dix, mais quelques années.

Corinne se mit à sourire.

- Pouvez-vous faire un petit portrait de votre père ?

- Oh, il a été écrasé toute sa vie par ma mère, il n’a jamais élevé la voix. En plus, il se trouve invalide depuis quatre ans. C’est un gros problème pour tous les deux car c’est la première fois qu’ils se retrouvent ensemble. Son travail auparavant lui permettait d’être toujours parti. Je pense qu’ils sont ensemble peut-être trop tôt ou trop tard mais cela suscite beaucoup de difficultés.

- Quels sont vos intérêts ?

- J’aime le sport, le mouvement, les balades en vélo, à pied et puis surtout les chats.

Corinne avait un peu une tête de chat, surtout le comportement hypersensible du félin : très réactive à Faguet du moindre mot, de la moindre réaction de ma part. Je sentais qu’il ne fallait pas la prendre à “rebrousse poils”, qu’il s’en faudrait de peu pour qu’elle ne détale à toutes jambes.

- Une autre passion, c’est bien sûr mon travail! Je suis prof de physique. Cela fait six ans que j’enseigne et cinq ans que j’essaie de passer le Capes. J’ai une peur panique du concours. A chaque fois, c’est un échec alors que je n’en avais jamais eu lors de ma scolarité !

- Que vous donnerait le CAPES en plus ?

- Une stabilité de l’emploi, une reconnaissance à part entière.

- Ces désirs me paraissent antinomiques, celui de fonder une famille s’exerce a contrario de celui de passer le CAPES qui demande aussi un gros investissement de temps.

- Je suis tout à fait d’accord mais ma priorité c’est de fonder une famille.

- Je vois un point commun dans ces deux désirs. Les deux me paraissent être une “sanction”, car celle-ci peut être aussi bien positive que négative donc une sanction en positif du fait d’avoir une famille et un travail. Vous n’avez pas l’impression d’avoir une famille tant que vous n’avez pas d’enfant et nous n’avez pas l’impression d’être prof tant que vous n’avez pas le Capes et pourtant vous avez déjà fondé une famille ; ce n’est pas le nombre d’enfants qui – garantit la famille, ni le diplôme qui garantit la compétence.

Je dirais d’ailleurs que la plupart des familles n’en sont absolument pas. Les enfants s’il n’y a pas d’amour entre les parents, ne forment pas une famille mais un élevage ! On perpétue la race, c’est une belle chose mais ce n’est pas une famille, inversement on peut avoir une famille avec des êtres qui ne sont pas du tout liés par le sang, d’ailleurs tout un chacun sait que les liens de sang ne donnent pas obligatoirement des liens relationnels. Quant au diplôme, je ne vous fais pas de dessin !

Ne serait-ce pas plutôt votre éducation qui vous a conditionné à vouloir ressembler à une image de petite fille modèle ? On épouse, on a des enfants, on a des diplômes et tout est au mieux dans le meilleur des mondes.

La vie étant la vie c’est-à-dire jamais ce que l’on a programmé, on est déchiré et malheureux toute la vie restante !

J’aimerais savoir si vous n’aviez pas de rêves ou de cauchemars répétés au cours de votre enfance ?

Puisque cette éducation me semble avoir imprégné votre état d’esprit de façon considérable.

- C’est curieux, je vous disais que je ne me rappelais d’aucun rêve et voilà qu’à l’instant où vous m’en demandez, j’en ai un qui surgit de ma mémoire ! Surgir, c’est vraiment le mot. Ce rêve m’a marqué très profondément, je crois qu’il fut déterminant dans la vie et je n’y pensais même pas. Et puis là tout me revient…

- Vous voyez le beau métier, que j’exerce, faire rêver et même éveillée.

- J’étais petite, dix, onze ans, peut-être moins encore, je dirais entre sept et dix ans. Ça se passait alors que j’étais à la maternelle, mes parents, un samedi matin nous ont emmené mon frère et moi à l’école. Mon frère me tenait par la main, ils nous ont laissé à l’entrée de l’école.

Mon frère m’a alors emmené à travers la cour jusque sous le préau. La cour était immense, nous étions sous le préau. Alors je me suis retournée, et en me retournant; dans la cour, il y avait des crocodiles absolument partout, ils envahissaient toute la cour!

Et alors que je regardais, un crocodile est venu et m’a mangé toute la partie des fesses jusqu’au nombril, à la fois devant et derrière bien entendu ! Et j’ai été particulièrement choquée par le fait que mon buste a atterri sur mes cuisses !

- Ne serait-ce justement pas toute la partie qui vous pose problème à l’heure actuelle, qui a été mangée par le crocodile ? Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ?

- Comment ai-je pu oublier un rêve pareil ? La violence de la scène m’a considérablement frappée et j’ai vraiment été surprise de l’image du buste qui descend sur les cuisses. Bien sûr c’est la partie qui permet d’accueillir un foetus !

L’entretien commençait à prendre une tournure plaisante et efficace.

- À l’heure actuelle, je ne sais pas si vous avez observé, on voit partout dans les rues une sorte de publicité assez curieuse sous forme de devinette ou de question, du style “Qu’est-ce qui est jaune avec un grand bec ?” et on a la réponse un petit peu plus loin. Alors je vais me prêter au jeu, à quoi peut ressembler un crocodile ?

- Ce qui me vient à l’esprit immédiatement c’est un gros spermatozoïde !

- Ah bon ! Je n’y aurai pas pensé mais si vous le dites c’est que ça doit être vrai !

- Par contre, étant petite, je n’aurais pas pu penser à cela !

- Certes, alors à l’époque ou encore maintenant, pouvez-vous me décrire un crocodile, quelles sont ses caractéristiques principales ?

- C’est très, très long, on .imagine un crocodile qui faisait au moins une pièce déjà de bonne taille. C’est quelque chose contre lequel on ne pouvait pas lutter, c’était invincible.

- Qu’est-ce qui est très, très, très long, qui prend beaucoup de place contre lequel on ne peut pas lutter, totalement invincible occupant tout l’espace de la cour de récréation, c’est-à-dire même’ les moments où vous devriez être détendue ?

- Et bien à dix ans, c’était ma mère, c’est clair.

- Qu’est-ce qu’on peut encore trouver comme analogie avec un crocodile ?

- Le crocodile est très droit, Égide, elle est comme ça, droite et extrêmement rigide.

- J’oserai dire que non seulement vous perpétuez le système puisque non seulement vous travaillez dans les heures ouvrables en tant que professeur mais encore en dehors de ces mêmes heures vous préparez le Capes. On pourrait l’assimiler à la cour de récréation qui n’en est pas vraiment une et où vous risquez de vous faire croquer à tous les coins de rue, tous les coins de cours.

- Tout à fait ! En plus j’étais très, très scolaire, j’y suis toujours d’ailleurs.

- Pourquoi le dites-vous que c’était le samedi matin car c’est un rêve qui date de plus de vingt, vingt-cinq ans, comment pouvez-vous avoir l’assurance que c’était un samedi matin et non un jeudi ?

- Ça ne pouvait être qu’un samedi matin parce que mon père n’était jamais là, or c’était le seul jour où il accompagnait ma mère à l’école. Et d’ailleurs, c’est bizarre que là, il ait eu une place car dans ma scolarité, il n’en a tenu aucune !

J’ai d’ailleurs beaucoup de mal à expliquer en plus la présence de mon frère dans ce rêve car il n’a jamais été dans la même école que moi et ne m’y accompagnait pas.

- Oui, mais il accompagnait néanmoins votre vie, c’était quand même la représentation du masculin à cette époque de votre vie !

- Oui !

- Si je reprends votre rêve, en traversant il n’y avait pas de crocodile ?

- Non.

- C’est bien en se retournant, donc en regardant les parents que vous constatez cette invasion. Cet arrêt vous fait dévorer par les crocodiles. Si vous aviez continué sans vous retourner, que ce serait-il passé ?

- Il ne serait rien passé, tout aurait été tranquille.

- Que traduit le retournement ?

- Je dirais une régression, on retourne vers le passé.

- Mais un retournement c’est aussi un retournement de situation donc une évolution vers une prise de conscience !

Je dirais que votre rêve représente le fait que toute évolution dans votre vie se trouve condamnée à l’échec parce que le regard des parents vous dévore, votre sensibilité” au regard des parents fragilise et vous met à la merci de leur, force dévorante. Dévorante au niveau du corps, au niveau du nombril donc tout ce qu’on peut appeler les “tripes”, vous êtes en proie à l’angoisse dès qu’il s’agit de traverser une situation nouvelle lorsque vous traversez la cour et dévorant par cela même toute la zone génitale, donc sexuelle en vous empêchant de prendre du plaisir dans la vie.

Vous êtes alors semblable à un crocodile, c’est-à-dire avec une carapace, vous sentant rigide et pas du tout à l’aise dans votre corps, en particulier dans ces zones là.

Comment avoir un enfant dans ces conditions là ? Alors que les conditions du plaisir et du bien être du corps ne sont pas remplies au préalable.

L’enfant n’est pas un problème, il viendra après, lorsque vous aurez traversé cette cour sans être dévorée par ces crocodiles.

Ce rêve n’est rien d’autre que l’expression de votre vie à ce moment là dans un milieu scolastique extrêmement rigide, réglementariste et déchirant, néanmoins cela ne vous empêche absolument pas d’être féconde.

- À ce propos, j’aimerais vous envoyer un spermogramme effectué à la demande de ma gynécologue, il semblerait que sur cette analyse mon mari au regard des analyses de spermocitogramme aurait des problèmes qui attirent notre attention et les gynécologues successifs nous ont alerté sur ces problèmes qui pourraient causer effectivement une stérilité.

On me propose donc des analyses beaucoup plus poussées chez l’un et chez l’autre, j’aimerai avoir votre avis là-dessus.

- Vous m’envoyez tout cela et je prendrai avis de mon côté auprès de personnes habilitées.

À la séance suivante, Corinne avait fait un seul rêve.

 

- Je suis dans un groupe, et nous nous rendons dans un restaurant type “campagnard” où sont dressées des tables en bois de ferme. Nous participons à un concours. Le but est d’arriver à ce restaurant avec une longue corde que nous traînons derrière nous. Chaque personne traîne cette corde derrière lui comme un très longue queue. A l’intérieur du restaurant; il y a trois tables rectangulaires en quinconce. Deux sont déjà occupées et nos nous installons sur la troisième libre entre les deux autres.

- C’est tout ce que j’ai à vous apporter, c’est bien maigre!

- Au contraire ! Très riche et toutes les solutions sont dans le rêve.

Le rêve vous indique qu’il est absolument nécessaire de prendre le temps, de se restaurer et de trouver son espace de vie dans la liberté, autrement dit prendre le temps de la vie, des caresses et non pas de traîner ces problèmes comme une besace qui vous alourdit et vous éloigne loin de l’autre car le rêve indique que vous êtes beaucoup trop distants l’un de l’autre.

Chacun suit son propre mode de vie, s’investit dans son travail, dans ses activités, alors qu’il est absolument nécessaire de trouver un troisième terme, de se rendre libre pour l’autre, de se rendre disponible dans une restauration naturelle, simple et chaleureuse à l’image du restaurant où vous allez.

Le rêve vous indique qu’il n’y a aucun problème de stérilité, ni d’un côté, ni de l’autre.

À ce propos, je me suis renseignée pour le spermogramme, contrairement à ce qu’on vous a dit cela n’empêche absolument pas d’avoir un enfant.

Mais il est vrai que pour faire corps à deux, c’est-à-dire faire l’unité, il faut se rapprocher, être moins rigide dans son corps, moins alourdie par un mental prédominant qui vous empêche de jouir de la vie au moment où il faut.

Sortir du raisonnement et des tabous qui vous envahissent encore, de part et d’autre afin de faire votre place. Il faut simplement jouir de la vie et de la vie et après attendre qu’un sujet soit décidé à venir car vous pouvez être absolument féconde mais si il n’y a pas de candidat à venir il n’y aura rien pour l’instant.

- Je suis très, très surprise de ce que vous me dites, c’est parfaitement exact et je crois que je n’aurais jamais osé vous le dire.

- Bien sûr que si, puisque vos rêves me le disent.

Elle eut un sourire éclatant !

- C’est vrai qu’il faudrait peut-être commencer par le commencement ! Avec mon mari nous sommes en train de nous construire une maison et il m’a dit concernant le travail que je voulais faire sur moi : à quoi bon une maison si il n’y a pas d’escaliers dedans, tu dois faire les escaliers !

- Les escaliers, ce sont aussi toutes les escales permettant de traverser cette cour sans dévoration excessive.

 

En conclusion, je dirais donc que l’essentiel pour vous est de prendre la vie avec amour, vivre amoureusement et l’amour sera votre enfant et dans l’enfant vous trouverez votre amour et peut-être mais pas nécessairement de cet enfant naîtra un enfant.

L’enfant tant désiré naquit exactement un an jour pour jour après notre premier entretien. Clin d’oeil du destin ?

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