Faut-il croire à ses rêves ?

Ce témoignage, recueilli par Christine Herzog, montre comment, au cours d’une séance, on arrive à mettre au jour les traumatismes et les problèmes les plus enfouis dans la personnalité des patients.

Faut-il croire ses rêves ?

C’est la question que pose Nastassia, très déstabilisée par un rêve.

Elle a l’impression de tromper son mari la nuit.

L’aime-t-elle vraiment ?

Les rapports sexuels n’apportent plus aucune satisfaction.

Elle ne le désire pas. Le fait de le tromper en rêve manifeste-t-il un non-amour qu’elle se refuse à envisager ?

C’est l’objet de son trouble, à tel point qu’elle n’ose même plus écrire ce qu’elle a rêvé. Un jour, son mari avait trouvé un récit de rêve, et lui avait fait une réflexion… elle n’allait pas écrire celui-là !

Accorde-t-elle plus d’importance à sa vie diurne ou à sa vie nocturne ?

Malgré l’inquiétude inhérente à ces phantasmes, c’est sa vie diurne qui est prépondérante. Tous les personnages du rêve sont des fragments d’un puzzle la représentant.

Si d’aventure elle rêve de coucher avec son voisin, il ne s’agit pas du voisin, mais d’une partie d’elle.

Accorde-t-elle confiance à sa vie diurne ?

Nastassia est intriguée par la réalité des personnages et leurs ressemblances dans leurs attitudes, leurs caractères, leurs réflexions avec les personnalités qu’ils figurent…  Certes, mais le scénario pioche dans la vie le nécessaire, voire le superflu, des personnages connus avec leurs accoutrements, leurs manies, pour inviter à une réflexion.

Elle a la chance de former, avec son mari, un couple harmonieux. II est donc fondamental de développer cette entente et d’aplanir les barrières qui les séparent.

Or, à l’heure actuelle, qu’est-ce qui les sépare ?

Les problèmes sexuels et le manque d’envie. II est donc normal d’avoir des rêves érotiques pour surmonter cette difficulté et réharmoniser le couple en le purgeant de ses avatars. Quel est son rêve ?

“Je suis dans un appartement chez ma tante. Didier, qui est l’ami que j’avais avant mon mari, s’est couché dans le lit. Je viens me coucher à côté. Puis, ma tante arrive. Puis, mon mari. Je commence à embrasser Didier sans que mon mari s’en aperçoive. On a envie de faire l’amour mais on ne le fait pas. Puis, je vais voir mon mari qui joue dans un orchestre. Il est beau dans son uniforme. Je me tiens derrière lui pour l’encourager. Je lui montre mon affection tandis qu’il joue. Didier arrive et me dit que c’est le moment, qu’on pourrait aller à l’appartement faire l’amour pendant que personne n’y est. Je lui réponds que non, je ne veux pas faire cela à mon mari.”

Nastassia en a ressenti une vive culpabilité au point d’imaginer une sanction pour l’avoir rêvé.

Dans certaines civilisations primitives, il est vrai qu’on punissait d’assassinat celui qui rêvait d’avoir tué, de lapidation si on rêvait d’adultère, etc. Le rêve était pris au pied de la lettre. Il existait une parade, ne pas le raconter…

Afin de comprendre un songe, il faut connaître un tant soit peu l’histoire des protagonistes. Que figure sa tante dans ce contexte ?

À la mort de la mère de Nastassia, elle l’a assurée d’un accueil permanent comme si elle était sa propre fille. Paroles, paroles, paroles. Elle a toujours été absente, vivant pour sa famille, ses enfants, son travail dans un monde restreint. C’est un personnage superficiel après lequel elle a couru dans le vain mirage d’être d’un intérêt relatif pour elle.

Didier est son ancien ami. Après six ans passés ensemble elle n’a plus eu envie de lui. Ce n’était pas un homme sûr, trop instable. II ne la sécurisait pas. Dans le rêve, il fait écran à son mari.

À travers son rêve, on peut observer que, dans son lit, ils ne sont pas deux mais en l’occurrence quatre, parfois six, voire huit. Tout le passé et ses personnages l’accompagnent. Dans le principe, nous rééditons souvent des situations passées, nous revivons des scènes de nos imagos parentales ou grand-parentales dont nous ne sommes même pas conscients.

Justement, Nastassia ne souhaite nullement ressembler à ses parents, et toute sa vie a été orientée dans ce sens. Son père et sa mère pratiquaient l’échangisme, avaient une notion de l’amour singulière, et ce qu’ils ont tenté d’initier en lui offrant des magazines Union dès l’âge de quinze ans s’est soldé par un refus total et une recherche spiritualisée. Elle est encore horripilée d’entendre chez son mari des blagues grivoises qui passent à 20 ans mais plus à 40.

Son ami, Didier, ne ressemble-t-il pas un peu à son père ? Nastassia le confirme. Faire l’amour dans son dos dans le même lit qu’elle est tout à fait conforme à ce que son père aurait pu réaliser ou à ce qu’il réalisait. Son mari est fondamentalement différent.

Dans ce rêve, Didier représente son passé, en résonance avec lui, mais aussi son père puisqu’il a certaines similitudes avec lui. On pourrait dire qu’il représente tous les ” dits d’hier “, c’est-à-dire toutes ces paroles du passé qui ont profondément parasité la notion de couple et la notion d’amour qu’elle était en mesure d’espérer ou de vivre.

La formule, “les dits d’hier” touche beaucoup Nastassia qui l’adopte sur le champ. Mais, elle demande, non sans à propos, ce qu’elle aurait pu inventer si son ex-ami ne s’était pas appelé Didier. Elle aurait trouvé autre chose. L’inconscient est créatif et prolixe en la matière… La tante, définie comme quelqu’un de superficiel et d’arriviste, m’intrigue.

Au départ, c’est un modèle de mère telle que Nastassia l’aurait souhaitée. En réalité, ce n’est pas tout à fait ça. Mais, dans ce rêve, elle effectue la séparation avec son mari et peut manifester une superficialité contrariante au point de créer obstacle dans le couple.

Nastassia reproche à son mari d’être superficiel, il ne se pose aucune question. D’ailleurs, il se demande vraiment pourquoi elle vient me voir. Pour lui, ça n’a aucun sens de faire une psychanalyse. II ne se pose aucune question et il en est très fier. II proclame que sa bonne santé en est la conséquence.

Pour toute réponse à la narration de ses problèmes avec ses parents, il lui demande pourquoi elle les voit encore. C’est aussi sa désinvolture qui attire Nastassia.

Si nous considérons le rêve comme une réponse aux problèmes sexuels du couple, il s’agit en l’occurrence d’encourager et de s’encourager dans le présent de sa vie en éliminant les “dits d’hier” et en développant l’échange tant physique que relationnel.

Si Nastassia l’a choisi, c’est aussi pour sa différence et sa complémentarité. C’est toujours lui qui joue avec les enfants et, par caractère, elle prend en charge les problèmes scolaires. Les tâches sont réparties très distinctement et ils seraient bien avisés d’être plus perméables à cet endroit et d’échanger leurs prérogatives respectives.

La vie de couple, scellée par le désir charnel et maintenue grâce à ce désir, ne se réduit pas à lui. Quel que soit le couple, il sera confronté à des problèmes semblables au bout de trois mois, cinq ans, dix ans, quinze ans, trente ans, quarante ans. Si on meurt avant, bien sûr, on évite les problèmes et l’on aura l’impression d’avoir vécu l’idylle. L’idylle parfaite ne se résume pas aux cinquante ans passés avec la même personne, ni au nombre d’infidélités déclinées. Elle se lie au rayonnement de chacun à l’autre et transpirée de tout son être. C’est l’apanage de très peu d’élus, quoi qu’on en dise. Chacun est condamné peu ou prou à vivre ce genre d’épreuve à un moment donné, plus ou moins tôt dans sa vie ou plus ou moins tard, mais presque toujours.

Nastassia avait connu beaucoup plus rapidement le manque d’envie avec son premier ami. C’est arrivé beaucoup plus tardivement avec son mari, raison pour laquelle elle l’attribua au manque d’amour ou à une relation sur le point de s’achever. Tout leur début de relation s’est construit sur l’harmonie sexuelle. Ils n’avaient pas d’autre viatique. La vie, celle du couple ne se borne pas au désir charnel, ni à l’éducation des enfants dont on est responsable. Elle inclut toute forme d’échange possible et imaginable pour favoriser sa structuration et son épanouissement.

Développer la résolution du problème sexuel, c’est une étape, un virage à aborder. Une autre compréhension de la vie se profile. Si elle change d’homme maintenant, elle vivra peut-être un temps idyllique trois semaines, trois mois, trois ans, trente ans, mais elle sera confrontée de nouveau exactement à la même réalité un jour ou l’autre.

Lorsque la situation devient insoutenable, il vaut mieux changer, mais, dans le cas contraire, c’est un passage à vivre et à surmonter, sans fuite de soi-même. La fuite, c’est aller voir ailleurs, se séparer dès qu’une montagne se dresse. II est beaucoup plus difficile de s’affronter, comme elle est en train de le faire à l’heure actuelle pour essayer de chevaucher de nouveau le désir et remettre le couple en selle.

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