Repères pour une écoute autour du deuil

Si la mort n’existe pas, le départ, lui, est bien présent.

Et si la vie est partout, ici et là-bas, nous avons des démêlés à résoudre avec elle ici et maintenant, en particulier lors d’un décès.

Le deuil, comme je l’ai déjà évoqué dans un article précédent, est non seulement impropre mais irrespectueux.

Cela signifie-t-il pour autant que l’on doit rester sans rien faire ou sans rien dire ?

Dans ces instants qui s’éternisent devant l’infini du temps de la vie, comment ne pas se trouver désemparés, abasourdis, voire révoltés, annihilés par l’épreuve ?

Voici donc une proposition de repères pour une écoute de personnes vivant cette incommensurable douleur qu’est le deuil.

Qui peut dire qu’il ne rencontrera pas ce type de situation à un moment de sa vie ?

Thérapeute ou non, chacun de nous à titre profession ou personnel peut s’y trouver confronté un jour.

C’est infiniment difficile parce qu’on n’est jamais égaux devant la peine. On n’est jamais égaux devant la capacité de gérer l’événement. Et de surcroît, on est tous incapables de comprendre ce qui se passe chez l’autre.

On se croit capable de gérer la douleur des autres alors que l’on ne l’est pas. Il y a un dernier problème : a-t-on la capacité de résistance pour comprendre et faire comprendre ?

Afin d’apporter un peu d’aide et de lumière dans ce cheminement abrupt et sombre, je vous propose de poser quelques balises au fil de ce déroulement en cinq étapes.

Première étape : Nous ne sommes pas égaux devant la peine car tout dépend de l’événement.

La mort est toujours injuste et la sensibilité mise plus ou moins à rude épreuve. La mort peut être violente ou non, avec surprise. Il existe donc une manière de l’approcher mais on n’est pas égaux pour accepter un tel événement.

La douleur d’une mère ou la douleur d’une belle-mère va être différente.

La douleur d’un père, d’un grand-père ou d’un beau-père ne sera pas identique. La douleur d’un ami non plus.

La douleur de la solitude va être à chaque fois singulière. On est seul, on est toujours seul.

On ne comprend pas, mais on est toujours avec sa solitude et on s’enferme. Comment peut-on réagir ?

Allez-vous prendre une attitude compatissante, l’attitude bienveillante d’un curé ou l’attitude nerveuse d’un mépris, l’attitude d’un bienfaiteur : “Je sais, je sais… je prends part” ou une attitude froide, calculée ?

Faut-il privilégier un de ces cas, les amalgamer ou encore faire autrement ?

L’individu est seul.

Etant donné la multiplicité des inégalités, l’attitude idoine existe-t-elle ?

Oui, l’attitude idéale existe et l’idéal, c’est être créatif dans l’écoute tout en étant soi-même. C’est ce qui permet de rester dans la confidence et être capable de la supporter. Voilà pourquoi les pleureuses étaient une nécessité nécessaire.

Vous allez me dire que je me répète. A dessein. Car celles qui pleuraient excessivement créaient une ambiance où la douleur pouvait être exprimée si fortement que les sujets atteints par cette douleur s’en trouvaient délivrés.

Imaginons la scène.

Tout le monde pleure, tout le monde fait pleurer.

Vous allez vous sentir fatigués et vous commencez à expurger votre peine. C’est un rituel avec ses bizarreries et ses travers mais qui avait le pouvoir d’éreinter les sujets en tirant leurs pleurs d’eux-mêmes dans une ambiance de lamentation générale. Les pleureuses pleuraient plus fort que les autres.

Cela devenait tellement irritant que c’en était lassant. Et plus les pleureuses pleuraient, plus elles gémissaient fortement et plus la fatigue envahissait l’assemblée.

Entendre des sujets fortement commotionnés reste gravé dans notre tête car c’est dramatique.

Enterrer son enfant, un enfant tué de mort violente par exemple, est effroyable. Au moment de l’enterrer, on ne sera plus le même individu.

Quand on a vu son proche souffrir et partir dans la douleur, on est épuisé. Les pleureuses favorisaient cet épuisement momentané.

S’il n’existe rien de ce type, nous restons compressés et enfermés dans notre douleur. Si je parle tant de pleureuses, c’est que l’écoutant(e) va servir de pleureur ou de pleureuse et va pleurer avec son sujet. Il va compatir. Il va recevoir. Il va permettre à la personne atteinte de déverser ce qu’elle a dans les tripes, donc il va pâtir et compatir. Il va recevoir le flot de paroles, comme un déversoir.

Cela suppose de la part de l’écoutant(e) de supporter de n’être momentanément que ce réceptacle tout en restant lui-même.

Deuxième étape : Nous ne sommes pas égaux dans la capacité de gérer l’événement.

Est-on capable d’appréhender cette question ? L’écoutant(e), s’il va compatir, va générer une douleur et faire générer une nouvelle douleur au sujet. Par sa souffrance, l’autre va souffrir aussi. Comment va se comporter l’écoutant ? Va-t-il amener par l’écoute, par un mot, la création d’une forme d’initiation ? Sera-t-il capable, par son être, d’amener l’autre à sa propre authenticité avec ses qualités et ses défauts ?

Troisième étape : Nous sommes incapables de comprendre ce qui se passe chez l’autre.

Si nous avons cette incapacité, comment allons-nous réagir ? “Je t’ai compris, oh, je t’ai compris, arrête !” On ne peut parler ainsi. Ce n’est pas comprendre, mais tout simplement tenter de se comprendre. C’est aussi se situer de telle sorte à faire comprendre à l’autre qu’on est à sa disposition. C’est plus qu’accompagner, c’est être disposé à partager, c’est être à disposition.

Quatrième  étape : Nous nous croyons capable de gérer la douleur des autres.

C’est le point le plus féroce. Apporter une aide n’a rien de spirituel. Il s’agit seulement d’être soi-même, d’être disposé à. On est disponible à… à partager et non pas à comprendre. Toi, tu es toi, et moi… je suis moi. L’autre peut être âgé, de sexe masculin et moi, je suis jeune et de sexe féminin. Déjà, une opposition d’état.

Il faut comprendre que l’on ne peut pas comprendre comme disait “le Vieux” :

“Je sais qu’on ne sait jamais”.

Le risque existe en situation d’écoute, de vouloir aboutir à tout prix à ce qu’on perçoit comme une amélioration alors qu’on ne sait pas. On a aucune idée et on en aura aucune de ce qu’est pour l’autre être lui-même.

Et pourtant il le faut quand même. Est-on capable de gérer cette quatrième dimension, gérer la douleur des autres ? On ne peut pas gérer la douleur d’un sujet, même proche.

Alors, quelle attitude doit-on avoir à ce moment-là ? La pitié, la passion, la compassion, la présence, la patience, l’empathie ? L’antipathie pas plus que l’empathie. Je n’ai pas goût avec mon sujet.

Par contre, la capacité de se gérer et d’être en permanence créatif peut lui permettre de relever la tête et de pouvoir recueillir la main tendue.

C’est être très actif.

Et à un moment donné, il va réussir à tendre la main. Un simple verre d’eau peut créer le lien, un simple repas le poursuivre.

C’est l’humilité de soi dans un esprit de création qui va l’amener à s’ouvrir à, donc à commencer à faire un deuil, c’est-à-dire être en mesure de passer l’étape.

Cinquième étape : Avons-nous la capacité de résistance pour faire comprendre ?

A-t-on la résistance ? A-t-on cette capacité ? Elle a des limites. “Tu m’embêtes, tu m’indisposes, tu me fatigues”. Alors, prenons l’inverse. A-t-on cette capacité de se retirer à temps, de prendre repos et de reprendre contact ? Va-t-on lui dire : “Ah, mon ami, mon petit, plus tard je reviendrai !” En revanche, nous avons la capacité de créer un événement favorisant une évolution… “Je vous laisse, pour l’instant. On va prendre le temps de…” Cette attitude d’humilité va induire une sympathie, une bienveillance, un regard de confiance.

Nous n’allons pas non plus rester des jours et des jours avec les êtres qui ont subi des événements. Nous en serions bien incapables. Il faut aussi prendre le temps de se remettre en état et d’acquérir une récompense à sa résistance. Et à ce moment-là, les sujets vont accomplir leur propre démarche pour pouvoir, pour assimiler le départ. Il faut tenter mais non tendre vers.

Admettons le particularisme de chacun. Il n’y aura pas deux écoutants avec des réactions identiques. Ce n’est pas selon sa conception, c’est selon son mode de vie, selon son enseignement culturel, selon sa manière d’être, selon sa manière de faire face, selon également son expérience et enfin selon ses capacités cérébrales.

On ne peut pas demander à un sujet qui ne connaît que le Nouveau ou l’Ancien Testament de réagir à la manière rabbinique. Si on est romain, catholique ou orthodoxe, ou quoi qu’on soit, on va avoir une manière d’être. En conséquence, on va traîner un attribut avec soi. Que l’on soit régliste ou ouvert, que l’on soit athée ou non, tout va se jouer, va s’affiner selon son bagage.

On ne réagira pas de la même façon. Ce n’est pas parce que l’on est prêtre, quelle que soit la religion, que l’on fera le travail nécessairement correctement.

La prêtrise effectue un travail et si elle ne le fait pas avec cœur, elle ne remplit pas sa mission. Si elle s’applique à le faire le plus mal possible, elle va s’apitoyer dans l’amour ou dans la haine. Si c’est une fonction, elle va cultiver seulement la passion, la pitié. Être soi est essentiel et surtout en ces circonstances.

C’est être capable également de prendre en considération l’émotion de sa propre douleur pour être capable de la transcender en un rayon de lumière. Et ce rayon de lumière va permettre de communiquer l’essence même de la vie.

« Naguère, j’ai plongé mon regard dans tes yeux, ô vie ! Et il me sembla sombrer alors dans l’insondable. » Zarathoustra II, 148, Nietzsche

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