Les cauchemars aident à mieux vivre

Le cauchemar est le gué permettant à la fois le franchissement de l’épreuve du deuil et l’apprentissage de l’observation du lever du soleil de la vie. Marcher dans son ombre permet d’affronter ses brûlures, de revivifier non seulement le corps mais aussi l’esprit et de développer la chaîne relationnelle, le sens du donner et du recevoir. Personne n’aime faire des cauchemars terrifiants. Souvent même nous pensons qu’ils  nous font du mal. Pourtant, ils nous servent à évacuer, à positiver ce qui handicape notre vie affective et mentale.

Chacun d’entre nous cauchemarde. Combien de fois ai-je lu, sous la plume de thérapeutes improvisés, que le cauchemar était l’ennemi de l’homme. Je conteste cette manière de voir et je me propose de vous montrer qu’il est son meilleur ami.

Non seulement il fait l’économie d’investigations verbales intempestives, voire irrespectueuses de la part d’“écoutants” mais en plus, il exprime ses événements traumatisants en temps et en heure avec l’habileté de celui qui connaît parfaitement son destinataire pour le soulager.

La mémoire s’efface-t-elle un jour ? C’est une des questions auxquelles nous apporterons réponse. Les sentiers battus ne mènent nulle part en psychothérapie. Soyons innovants, ici et dans vos cauchemars, et la vie redeviendra peut-être… un rêve.

Ecoutons celui d’un visiteur.

« J’étais chez mes beaux-parents. Des personnes handicapées mentales pénétraient chez eux et je passais mon temps à leur montrer la porte. Il était impossible de s’en débarrasser. Ils rentraient sans arrêt et je les faisais sortir par une autre porte. Mes beaux-parents me disaient : “Fais ton travail !” Je m’attachais à être ni énervé, ni agressif, calme, mais c’était éreintant. »

Le cauchemar a tellement perturbé notre homme qu’il s’est empressé de le raconter à sa famille, sa belle-famille, quêtant leurs réactions, leurs interprétations, en vain. Tout le monde s’accorde à le trouver incompréhensible et lui y voit la raison de sa fatigue de la journée. A-t-il raison ? J’affirme que non.

Comprendre les cauchemars

Le rêve cauchemardesque est donc la traduction d’événements innommables dans lesquels on se débat. Le cauchemar exprime un malaise personnel étouffant. Cet étouffement sera pour le sujet une mesure expiatoire afin de dépasser son problème et d’en retirer un bénéfice malgré la peur occasionnée.

Le cauchemar a donc pour but, entre autre, de prévenir une somatisation. Chaque rêve, chaque cauchemar, est un scénario qu’il nous faut déchiffrer, comprendre.

Quelles pourraient être les somatisations éventuelles du rêveur ? Il n’est absolument pas handicapé mental, bien au contraire, mais mentalement, il souffre. Il souffre à tel point que cela devient ou pourrait devenir un handicap. Ses humeurs s’en ressentent.

Ces handicapés, qui rentrent sans arrêt, indiquent la nature incessante du tourbillon du flot de ses pensées. Il finit par se noyer, par s’étouffer, par s’engorger dans ses événements. Nous sommes tous peu ou prou à son image. C’est pour cela que je prends son exemple, il n’a rien d’exceptionnel et pourrait concerner chacun d’entre nous.

Cet homme a quarante-sept ans, de charmants enfants et une femme adorable. Sa généraliste, ne sachant plus comment traiter chaque année, à la même époque, sa crise dépressive assortie d’idées suicidaires, flaire des problèmes passés dont il ne veut absolument pas discuter. Elle le sent désormais prêt à le faire. Un proche me recommande auprès de lui. Il aurait très bien pu ne jamais me consulter. La généraliste ajoute : « Il a eu à l’âge de onze ans, un accident de voiture dans lequel sa mère est décédée.»  L’homme revient sur le cauchemar et l’accuse de l’avoir fatigué au point qu’il n’était bon à rien. Ce marasme, apparemment généré par le cauchemar, est celui auquel il se confronte journellement sans s’en rendre compte. A l’instar de chacun d’entre nous, il court ou a couru.

Chacun vit et pense bien vivre, donne l’apparence d’être bien tout en étant malheureux. Combien de personnes d’un âge certain courent pour se distraire dansent, chantent, s’oublient pour tenter d’oublier quelque chose. On est en dehors, tout en accompagnant plus ou moins bien son intériorité.

On ne peut pas tout effacer

Chacun, inconsciemment, reproduit l’attitude de sa mère ou de son père, en croyant mieux faire dans le meilleur des cas. Chacun reproduit le mode de culture vu, reçu. Et après, on dira : “C’est génétique !” Hélas ou tant mieux pour nous, l’homme n’est pas un ordinateur dont on efface les mémoires. Et encore ! Un informaticien chevronné sait bien que l’icône « poubelle » ne rime pas aussi aisément avec omission définitive. On ne peut donc jamais gommer mais on peut améliorer.

La connaissance, l’ouverture, nous aident à diminuer le poids de cet héritage, mais on ne le fera jamais disparaître. On peut ajouter, jamais retrancher.

L’événement vécu est un événement vécu, on ne pourra jamais faire comme s’il n’avait jamais existé. On pourra le dépasser mais il aura déjà eu son inscription dans nos gènes et il sera plus ou moins reproduit à la descendance. C’est donc par la prise de conscience de cette possibilité reproductible que l’on peut l’atténuer et la ralentir.

Mais tout dépend des événements qui vont nous marquer. En l’occurrence, perdre brutalement sa mère à onze ans laisse une marque indélébile. Il peut apprendre à vivre plus ou moins harmonieusement mais il est désormais sensibilisé. Ce rêve d’une chaîne de handicapés mentaux, rentrant sans arrêt puis sortant, est aussi la chaîne des événements qui ont marqué son mental. Il ne cesse de vouloir les expurger, ne cesse d’essayer d’oublier, d’évacuer.

Cela se passe chez les beaux-parents. On a donc une référence de temps, de lieu, un lien aux parents. Cela nous renvoie à la mort de sa mère. A peine ai-je commencé à dévider la bobine des événements ayant pu l’handicaper, que tout de suite ressort le plus fort, le lancinant, présent dans son esprit alors même qu’il veut avoir une belle vision de ses parents. Alors, le drame s’exprime. Le drame beaucoup plus récent.

Il fêtait, avec sa femme, leurs dix ans de mariage. C’était un samedi. Le vendredi, comme à son habitude, il passe chez son père, qui habite tout à côté. Le père est ravi. Il lui dit que pour l’occasion, il va ramasser des champignons dans la forêt d’à côté. Le père ne pourrait être de la fête sans aller ramasser ceux qu’il aime tant pour honorer si belle cérémonie. Le vendredi soir, mon consultant trouve son père malade, fatigué. Il a très mal à l’estomac. Ils vont voir d’urgence le médecin.

Il leur dit que c’est vraisemblablement une intoxication aux champignons. Il va rester trois jours malade. Le fils réédite son invitation. Le père doit être là pour les dix ans de mariage. Mais le père, décidément trop mal, en point ne peut y aller. Alors, ils font la fête sans lui. Le samedi soir, le père est exsangue. Ils l’emmènent cette fois directement à l’hôpital. Le praticien de service déclare que le pronostic est très réservé en soulignant que le genre de praticien auquel il a eu affaire devrait rendre son tablier. Le dimanche, le médecin hospitalier lui déclare : « Profitez de votre père, vous avez une demi-heure. Après il ne sera plus. » Il discute avec son père, comme si de rien n’était. Le père meurt dans la nuit.

Il n’a jamais pardonné la faute professionnelle du médecin qui n’a pas vu la gravité de son état. Ce flot de pensées l’envahit donc continuellement. Pourquoi l’envahit-il précisément la veille du cauchemar au point de l’initier ? Parce que ce jour-là, son collègue de travail et coéquipier va se faire opérer des cordes vocales. Encore la maladie, encore l’hôpital !

Ce n’est pas tant qu’il se fasse opérer des cordes vocales qui a réactivé toute cette chaîne de souvenirs, mais de savoir la femme de son collègue simultanément à l’hôpital. Après avoir été traitée pour un cancer du sein par radiothérapie puis chimiothérapie, le couple, le plus gentillet qui soit, pensait être tranquille.

Et, soudain, on dit à la femme : “Il faut se faire enlever le sein”. Mon consultant y voit une arnaque, une nouvelle faute professionnelle. On leur avait dit que tout irait bien. Comme si la radiothérapie n’avait pas suffi, comme si cela n’avait pas suffi de se faire chimiothéraper, comme si cela n’avait pas suffi de perdre tous ses cheveux, toute sa vitalité. Il fallait encore amputer le sein ! Et on l’amputait alors même que son mari allait devoir se faire opérer des cordes vocales, ne pourrait l’assister, ne pourrait lui parler, autrement qu’avec une craie sur une ardoise.

Il y voit une injustice, un trop grand malheur. Et puis, ce n’est pas tout, on lui a recommandé de ne pas aller voir son ami, cela le fatiguerait. Quand on est juste opéré, on n’a pas envie de tenir salon. Tout cela le chiffonne beaucoup. Il tourne et retourne sans arrêt dans sa tête la question : “Faut-il y aller ou non ?”

Faire la chaîne

Un convalescent apprécie toujours la visite à condition qu’elle soit courte. Allez-vous en profiter pour déballer vos problèmes devant le pauvre hère puisant dans ses réserves pour faire bonne figure ? Il suffit de le conforter dans son amitié, de l’assurer de son soutien dans toutes les difficultés de son existence. L’autre comprendrait qu’il parle aussi pour sa femme, sans remuer le couteau dans la plaie. Ce serait le meilleur des pansements.

Mon consultant est radieux de tenir sa solution. Pour synthétiser le cauchemar, on pourrait donc dire que “le flot envahissant des pensées est un handicap à évacuer en prenant le temps du sourire et de l’environnement”. La sarabande va-t-elle enfin s’arrêter dans sa tête ? Un dernier handicap surgit. Un de ses amis, en travaillant le bois le week-end, chez lui, a fait tomber bêtement une planche sur son pied. Evénement anodin. Seulement cet homme est diabétique. De crainte qu’il n’attrape la gangrène, on a préféré lui couper les orteils ! Il devait revenir de l’hôpital quant l’autre y rentrait. Et tous, dans leur corps de métier, soudés entre eux comme les maillons d’une même chaîne s’inquiètent de l’autre. La chaîne se forme, la chaîne d’handicapés du rêve. Elle s’ajoute au lieu de se diminuer La chaîne, par la solidarité, la confiance, l’accompagnement, l’amitié, peut soulager des maux. Chacun peut aller faire une petite visite, rester concis, juste pour assurer, rassurer, retrouver un apaisement afin d’apporter offrande. C’est un mouvement permanent. Celui qui prononce, celui qui reçoit : “Je vais te tuer. Je tue” se tue lui-même. Celui qui prononce, celui qui reçoit : “je te donne la paix, je t’offre” se donne la paix, s’offre à lui-même. Ce mouvement est incessant. Il peut être d’amplitude faible ou forte mais se lie toujours. Il est donc très important de s’insérer dans l’environnement et d’y remettre de la vie, de faire envie, de le faire vivre, de créer ce dynamisme de vie. C’est une excellente manière de faire sortir, d’exprimer, et de transférer son somatisme. C’est la manière positive de ne pas somatiser et de ressortir de ce somatisme familial ou coutumier.

L’important, c’est de se relever chaque fois qu’on tombe, chaque fois qu’on pose un genou au sol. C’est se relever, se redresser pour soi certes, mais aussi pour l’environnement, de manière à ne pas s’enfermer dans une somatisation. C’est entre autre le rôle des parents. C’est un rôle qui est peu compris. C’est ainsi que l’on crée l’environnement, en effectuant l’offrande de se redresser, l’offrande de communiquer.


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