Paix ou guerre

L’être humain est-il capable de vivre en paix ?

L’homme est-il capable de vivre sans guerre ?

Homme est générique car homme ou femme ont les mêmes aptitudes en toutes choses, y compris la paix ou la guerre. Sade dit même qu’une femme peut être pire mais est-il de bonne foi ? Seules les modalités varient… Pas de guerre des sexes sur ce point. En Erythrée, les femmes ayant fièrement combattu l’Ethiopie regrettent la guerre, seule période de leur histoire où elles étaient côte à côte avec les hommes

Aussi loin que l’on se souvienne, une période de la vie humaine sans guerre est difficilement imaginable, même si des plages de paix ont pu être longues. La Pax Romana de quatre cents ans fait date ! L’Europe sans guerre n’a pas tenu cinquante ans. L’homme a un besoin assoiffé de paix… mais de paix à sa conception personnelle. C’est-à-dire qu’il a toujours envie d’imposer son point de vue strictu personae. La paix de l’homme ? C’est une paix à sa convenance. Un traité de paix signe un entre-deux-guerres…

Le consul Bonaparte, en 1802, signe la paix d’Amiens scellant dix années de guerre devant instaurer l’harmonie entre les peuples, fracassée à chaque fois par les ennemis de la France. Napoléon doit détruire en totalité l’armée adverse pour obliger l’ennemi à signer une nouvelle paix. L’homme aimerait faire évoluer l’enseignement, l’éducation, les arts, selon sa propre conception de conquête. Il ne conquiert que pour asseoir cette conception et assouvir son besoin ou ses besoins jugés nécessaires.

Ce sont des besoins de richesse. Ce sont des besoins de pouvoir. Qui mesure les détresses consécutives aux onze millions de morts directs ou indirects de la première guerre mondiale, aux cinquante millions de victimes de la seconde et les douleurs des multiples endeuillés, blessés et veuves blanches ? A-t-on déjà oublié les cinq cent mille morts au Rwanda de politique gouvernementale française ? L’Histoire offre une exception néanmoins. Comment expliquer la durée de l’Empire, du royaume de l’Egypte sur plusieurs millénaires ?

S’il avait subi des luttes de pouvoir permanentes, il aurait disparu par affaiblissement. Imaginons des affrontements d’intérêts entre les classes, des invasions voire des guerres. Mais comment ce petit peuple a-t-il pu durer aussi longtemps et réaliser des choses stupéfiantes ?

Toute guerre est religieuse au sens où toute guerre résulte d’une façon de penser la règle, d’imposer sa règle, son “attention scrupuleuse” selon Benveniste. On impose son sectarisme, dans la volonté de s’accaparer les richesses de l’autre. La guerre, c’est pouvoir s’accaparer ce qui existe chez l’autre, ce qui existe de bon pour lui, tout en réfutant sa manière de vivre. Chacun aime évoquer les grands chefs de guerre tout en édulcorant la guerre. Alexandre fit ses conquêtes au nom de la civilisation grecque et des préceptes d’Aristote.

On prête à Napoléon, à tort ou à raison, la phrase : « Une nuit de Paris réparera tout ça » au soir de la bataille livrée contre les Russes à Eylau en Prusse. Il écrivait dans le même temps à Joséphine : « Le pays est couvert de morts et de blessés. Ce n’est pas la belle partie de la guerre ; l’on souffre et l’âme est oppressée de voir tant de victimes. » Cette guerre-là fit treize mille morts. Napoléon, comme César, comme Alexandre, combattaient aux côtés de leurs guerriers. Passés maîtres dans l’art de la guerre dont ils assuraient eux-mêmes la tâche a contrario des gouvernants donnant l’ordre… de très loin et de très haut. Tous partageaient l’impôt du sang ce qui les rendait grands certes, mais dans l’art de soumettre, de tuer pour la conquête d’un pouvoir.

L’homme ne supporte pas que l’on puisse vivre ni penser différemment de lui. Il affirme sa vérité au travers de sa raison, parce qu’il a parfaitement raison de l’édicter ainsi. C’est un moyen de se guérir, un moyen radical de supplanter sa propre conception, y développer des notions nouvelles. Mais supplanter les conceptions du voisin, c’est déjà incorporer plus ou moins ce qui peut nous plaire. Les Barbares, en l’an mille, ont allègrement incorporé les manières de leurs vaincus, conscients de leur suprématie culturelle.

Le maréchal Lyautey dont la réputation d’humanisme et de courage perdure, en particulier au Maroc où il était garant du protectorat français, a édifié à Casablanca des immeubles et des jardins conçus par les meilleurs architectes et paysagistes français, à l’usage exclusif des européens.

L’homme va donc faire évoluer son propre destin au travers d’un enrichissement pécuniaire, artistique, au travers de nouvelles idées. Alors, la nécessité se fait jour d’améliorer l’art de la guerre, d’améliorer l’éducation des jeunes pour les transformer en guerriers. Il s’agit de leur faire développer leur sens inné de l’agressivité et de la grégarité. Bien sûr, les régimes totalitaires, certaines dictatures, ont formé, déformé, enrôlé la jeunesse selon des critères auxquels on est prêt à déclarer la guerre. Mais dans les pays démocratiques, l’embrigadement persiste sous des formes délavées, amorphes.

Quel poids la mode a-t-elle comme uniforme, les piercings et tatouages comme formes singulières de la grégarité ? Les drogues, les jeux vidéo, la pornographie engendrent un isolationnisme associé à une banalisation de la violence qui confine

certains dans le rejet de la famille, de la scolarisation et de toute socialisation pour s’enrôler ou être enrôlés dans des structures où la loi du plus fort règne. Leur aptitude à la révolte donne une notion utile pour les embrigader dans un système de contrainte, dans un système d’efficacité où la masse prévaut au détriment de l’individu.

Le pouvoir va béatifier, va encenser la masse pour qu’elle soit soumise et dévouée. Elle va être éduquée dans le sens choisi ou dans un sens favorable à la domination. Il apparaît alors un art ambigu de cajoler la jeunesse tout en cajolant la partie plus âgée, c’est-à-dire celle qui va engendrer. Dans ces conditions, une fraction de la population est béatifiée, celle des femelles pour qu’elles restent soumises et continuent à procréer, à fabriquer.

Car c’est d’elles que dépend la puissance, la puissance de conquête. D’où cette notion qu’on va insérer et inculquer à la femme d’être soumise et d’être dépendante. L’expression “guerre des sexes” n’est pas anodine ni anecdotique et prend ses racines profondément dans la psyché. Simultanément à cette “éducation”, on va insérer dans l’esprit de la femelle que le plus beau mâle, le plus viril, est le plus fort physiquement.

Le plus bel homme est celui qui a combattu, celui qui a la force des bras, celui qui a par conséquent connu la peur des combats et a eu par vengeance un phallus efficace. Car, comme vous savez ou ne le savez pas, lorsqu’un homme a connu les affres d’un combat, il revient différent, mais empressé d’engendrer. Engendrer une descendance, c’est s’assurer lui-même de sa projection à venir. C’est une notion terriblement agissante.

Ainsi, c’est au travers de la paix qu’on va pousser et faire essaimer toute une civilisation, toute une cité, en copiant et recopiant ce qui se trouve aux alentours. Simultanément, on la valorise de façon telle qu’elle soit mise en condition d’orgueil et de fierté. Il s’ensuit que tout sujet non conforme à cet esprit est banni. Tout guerrier ayant succombé de peur au combat était banni.

Il avait l’interdit de rentrer dans la cité de peur qu’il ne produise une descendance douteuse. Et par ce discours habile, on fait miroiter. Chacun s’imagine et se met en tête qu’il est indispensable à l’élaboration de la cité. Une cité sans femmes, hier comme aujourd’hui, n’est pas une cité, une cité sans hommes non plus. Alexandre existerait-il sans Roxane, César ou Antoine sans Cléopâtre et Napoléon sans Joséphine ? Mais afin que cette femme puisse être dépendante de l’homme, du masculin, du mâle fort et puissant qui puisse générer ce qu’on attend de lui, on crée l’inégalité entre l’homme et la femme.

Et dès que la femme était ramenée au stade de non reproductibilité, elle était rejetée dans le coin de la cité, dans le coin de la demeure. Exemple Joséphine ou la princesse Soraya, jeunes, belles, mais stériles. Elle ne servait plus qu’à donner des avis, des conseils. Elle était utile à diriger la gestion de la demeure, c’est-à-dire gérer l’intendance. Oikos nomos, ce qui régente la maison a donné naissance au mot économie.

Le mâle vieillissant n’étant plus bon à la reproduction était également mis de côté. Il n’était plus regardé. Et s’il était trop lourd, on l’abandonnait dans un coin de la demeure ou en dehors de la cité. Tout était conçu exclusivement en vertu de la brillance de la cité, de la brillance du pouvoir.

Paix signifiait guerre et guerre signifiait paix. Paix et guerre sont des notions restées au plus profond du tréfonds de chacun où l’on puise à volonté sa propre violence pour s’excuser. Permettez-moi d’emprunter à la pertinence et clarté d’esprit de Julien Gracq, génial ciseleur de l’écriture :

« Une couche épaisse de pieux mensonge – et la gauche y a contribué comme la droite – nous masque cette singularité instructive, qu’aucun autre peuple d’Europe n’a connue : par trois fois, en 1792, en 1870 et en 1939, les Français se sont lancés dans trois grandes guerres en se haïssant entre eux beaucoup plus qu’ils ne haïssaient l’ennemi.

Trois guerres-boomerang presque coup sur coup (1914 excepté) où on cherche à atteindre l’adversaire à travers l’ennemi – et le Chant du départ a été inventé pour des armées dont chacun se préoccupait surtout de savoir à quoi elles serviraient au retour. Le cynisme des “patriotes” de Dumouriez et de Roland vaut celui des “honnêtes gens” de Trochu, de Mac-Mahon et de Bazaine, pour la richesse des arrière-pensées. » – Lettrines, p. 15

Comment pourrions-nous sortir de cet état de guerre et de paix, de paix ou de guerre ?

Une notion dans notre tréfonds, pour être puissante et manichéenne, n’en n’est pas moins évolutive. L’amour sans limite, célébré par l’adage “Faites l’amour pas la guerre”, valorise toujours la puissance phallique. Cette version soft masque subtilement un rapport de force en acte pouvant se traduire par “Faites l’amour donc la guerre”, où la loi du plus fort règne toujours quelle que soit sa forme. D’ailleurs, la notion de conquête est étroitement liée à celle de l’amour. Voilà pourquoi l’harmonie homme-femme est une des clés de ce rapport de force, de ce rapport dualité sur lequel est basée la notion de paix et de guerre.

L’harmonie du couple homme-femme, mâle-femelle, est la seule voie possible pour y échapper. L’harmonie intérieure pour les solitaires. Et ne croyons pas que dans notre société, la force soit moins privilégiée que la force morale ou intellectuelle et que l’imposition soit moins physique qu’avant ! La notion est toujours physique même sous des apparences différentes.

Et quand on parle du tréfonds, ce tréfonds contient toute l’histoire, toute l’histoire passée de chacun. Et cette mémoire, cette besace est en nous, dans notre tréfonds, gardée contre vents et marées. Et contre vents et marées, dans un moment de tempête, de colère, d’humeur, cette violence peut jaillir. Cette violence, c’est déjà l’ébauche de paix et de guerre. L’idée aussi de l’homme fort et de la femme soumise reste dans le tréfonds de chacun, difficilement évolutive tant que la composition de cette notion d’harmonie n’est pas mise en évidence.

La culture, en différenciant l’homme de la femme, a créé un ensemble de notions d’où le plus souvent la femelle reste disponible et taillable à merci. Et même dans nos sociétés dites émancipées, le problème reste entier. Et si le pouvoir se renversait en faveur des femmes par exemple, pourquoi ne pas imaginer une bascule possible avec de nouveaux paramètres, que le genre soit homme ou femme, la peau noire ou blanche, le clan x ou y, la classe travailleuse ou dispendieuse, mais le système de violence, de paix et de guerre, d’opposition, resterait toujours entier. Dans le monde actuel à part quelques clans et cas particuliers, de façon générale, la femme est soumise.

Tout ce qui ramène à un processus qui génère cette violence rentre dans cette notion de paix ou de guerre. Parfois même, on la cultive, on la déifie ; pensons au nazisme ou à d’autres systèmes. Déjà au Moyen Age, les plus beaux hommes étaient les grands guerriers, les grands chefs, les grands capitaines. Ils étaient honorés. C’était des princes. Ces princes ou capitaines capables de mener le combat étaient les plus valorisés malgré ou en raison d’une violence inimaginable. Violents, sanguinaires et incapables réellement de penser et de penser pour eux. Aujourd’hui, cela se perpétue sous des formes multiples.

C’est la conquête et l’expansionnisme qui prévaut depuis que le monde est monde. Les notions de paix et de guerre n’ont jamais été dissociées. Quand la guerre est trop longue et trop brutale, on réclame la paix pour se reconstituer et ensuite, on recommence. Au point que Théophile Gautier a pu dire en des périodes où l’embourgeoisement revêtait ses formes les plus sinistres : “Plutôt la barbarie que l’ennui”. Il faut toujours se méfier de sa propre violence, de ses propres tendances à devenir sanguinaire si on est contraint à combattre.

C’est pourquoi il est nécessaire d’être le plus longtemps possible dans un exercice, car plus on s’exerce au combat, plus on est en mesure de conserver le calme nécessaire pour être soi-même. Moins on a l’expérience, plus on devient violent. La pratique donne l’appréhension de la menace que l’on fait peser sur l’autre, donc soi-même. La violence par la violence fait à la fois amener un contrôle de soi, bien que ce soit surprenant et également une manière de réflexion qu’on s’impose. Loin d’être brut, c’est un exercice permettant d’avoir une facilité d’exécution et également un acte de méditation permettant de se régénérer et de comprendre le pourquoi de ce que l’on fait.

Cela permet de le faire sans haine, avec précision, avec efficacité, sans passion. La passion fait perdre la notion de risque. La notion de paix et de guerre est une notion réfléchie, car l’homme a réfléchi à ce qu’il va faire, à ce qu’il va en faire. “Tu ne tueras point”. Et ma muse-hérétique souffle sous commandement. Et ainsi, le commandement serait celui de la raison du cœur et non celui du pouvoir. André Breton, entre les deux guerres, ajoute un chapitre intitulé “Lumière noire” à Arcane 17 pour livrer ses analyses et ses solutions au terrible problème de la guerre dont il vient d’apprendre la déclaration.

Il n’est pas anodin si dans cette quête d’Arcane 17, l’Etoile, la bonne étoile, il évoque juste après la guerre, la lumière. En partant d’une observation, celle que les querelles survenues dans le surréalisme ont été surdéterminées par un désaccord irréductible au sujet de l’état de grâce qu’on appelle amour. C’est donc dès les tous premiers âges que l’on devrait ensemencer la notion de développement culturel au lieu de cultiver la notion de paix et de guerre étroitement liée et même fondée sur un rapport de force que seule l’harmonie homme-femme, l’harmonie de couple, l’homme uni peut combattre. Et André Breton jette l’anathème au nom de la fleur d’amour, perpétuant ainsi et toujours pour la plus belle des causes l’éternel dilemme paix ou guerre. « L’acte de l’amour, au même titre que le tableau ou le poème, se disqualifie si de la part de celui qui s’y livre il ne suppose pas l’entrée en transe. L’éternité est là, comme nulle part ailleurs, appréhendée dans l’instant même. Le tremblant miroir lunaire reparaît au front de la nuit couronné d’épis et de tubéreuses, illuminant seuls le visage et un sein divin que conjuguent au vent d’été les tourbillonnantes volutes des boucles blondes ou bleues.

L’ibis, le chacal, le vautour et le serpent, assistés de Nephtys, n’attendent plus qu’un signe. Le secret impérissable s’inscrit une fois de plus sur le sable… » Le 26 juillet 1914, à la veille – au sens littéral –  de la guerre, Paul Claudel, alors Consul à Hambourg, écrit dans son journal : « Le beau mot de délivrance et d’aventure “krieg”… on est délivré du métier, de la femme, des enfants, du bien stipulé… le tiers de la mer transformé en sang, ode à la guerre, le meilleur moyen pour les peuples de s’étreindre. » Mais revenons à l’Egypte, ce pays moins grand que l’Empire romain, mille fois moins peuplé que lui, a duré dix fois, quinze fois plus longtemps. Il est parvenu à construire, à créer toute une structure littéraire, culturelle, médicale, armée, mécanique, industrielle, sociale, de sorte à ce qu’elle s’inscrive dans la durée. Et puisque la joute n’est pas interdite pour parvenir à la sagesse, laissons le mot de la fin à une femme pour nous enchanter de l’unité homme-femme afin que le couple paix-guerre ne soit pas une fatalité.  Dans Le Banquet de Platon, Diotime initie Socrate à l’Amour en le reliant au désir d’immortalité. Pourquoi ? Parce que l’amour, c’est transcender, se transcender, mais aussi perpétuer la vie, son nom, son oeuvre.

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