Échapper au serpent !

Nous poursuivons notre exploration du domaine des rêves. Depuis la nuit des temps, l’homme s’y intéresse. II a toujours cherché à décrypter dans les songes des informations pour orienter sa vie. Déjà, dans un ouvrage attribué à Hippocrate, L’Art de prévoir les maladies du corps humain par l’état du sommeil, on pouvait lire comment découvrir par le rêve des maladies encore à l’état latent. Aujourd’hui, les recherches de la science confirment les Intuitions des anciens.

Damien, un garçon de vingt-quatre ans, bien policé, vient demander conseil pour un mal-être généralisé.

Dans son enfance, sa famille s’était installée chez les parents de son père. Sa mère supportait mal cette cohabitation forcée. Le corps psychique de Damien semble imprégné des problèmes psychologiques que sa mère a connus depuis sa grossesse. Ses parents le placent en pension à l’âge de dix ans et décident de déménager. La belle-mère handicapée vit désormais seule dans un appartement proche. Sa vie s’écoule de médecins en kinésithérapeutes, d’hôpitaux en maisons de cure.

II passe tous ses étés allongé dans sa chambre tant les douleurs dorsales, cervicales et les élancements dus aux sinusites sont intenses. Les résultats scolaires sont médiocres, bien qu’il ait réussi à passer une licence. La vie lui paraît fade et sans aucun attrait. II se dit passionné de football, bien que ses raideurs physiques ne lui permettent pas de jouer. II a toujours eu la vocation de devenir journaliste. Damien s’est enfermé dans sa souffrance, a refusé les amis, s’est éloigné de tout, avant d’effectuer de multiples thérapies sans le moindre succès. II vient nous voir en désespoir de cause. II faut dire que c’est une habitude à laquelle nous nous sommes faits.

Dès le premier entretien, il confie avoir été la victime d’une violence sexuelle à l’âge de douze ans.

Ce drame est le fait d’un garçon de seize ans, élève du même pensionnat religieux. L’acte a entraîné une raideur cervicale constante depuis ce jour. Le traumatisme psychologique l’amène à récuser toute relation depuis.

Une raideur était déjà présente à la naissance, et cette apparente fatalité recommençait douze ans après. Quels en étaient les mécanismes sous-jacents ?

Nous allions accompagner Damien dans cette découverte, afin qu’il connaisse une autre destinée moins marquée par la souffrance grâce à l’étude des rêves.

Une dizaine de jours se sont écoulés, Damien est plus détendu pour le second entretien. Son sommeil s’est amélioré. II n’a fumé qu’une cigarette en dix jours au lieu du paquet quotidien, et il envisage de réussir ses examens

« Avant j’étais pris de vertige devant les études. Mes parents voulaient que j’intègre une grande école dans laquelle j’étais largué au bout de quelques semaines. Dans ces classes je n’étais pas bien du tout, j’allais d’échec en échec, redoublant sans cesse. Je ne rêvais jamais, mais cette semaine j’ai eu un rêve angoissant à l’image de ce que je vivais dans mes études. »

Rêve : « Je me trouve tout en haut d’une échelle. Je suis terrorisé, incapable de descendre. J’ai le vertige, je lâche prise et tombe dans le vide. »

« C’est l’échelle de la vie, l’échelle sociale sur laquelle vos parents ont axé leur développement et le vôtre. Eux-mêmes ont dû affronter des difficultés. Ils en ont déduit qu’il fallait à tout prix se hisser en haut de l’échelle sociale pour ne plus avoir de problèmes. C’était très utopiste.

La pensée élimine toujours les facteurs affectifs et spirituels de la conscience. Vous ne pouvez tenir en haut de cette échelle qui vous donne le vertige, aussi cette entreprise est vouée à l’échec.

Le rêve montre simultanément que vous vous êtes réfugié là-haut dans le mental, les études, totalement coupé des réalités, donc en déséquilibre et surtout incapable de redescendre sur terre et d’affronter les réalités de la vie quotidienne. Vous vivez dans une sphère artificielle beaucoup trop intellectuelle, négative. La tête est coupée du corps »

« C’est vrai, pendant quatre ans je n’ai rien connu d’autre qu’une vie purement intellectuelle entre mes livres, incapable de me servir de mes mains. »

Je lui traçais le signe chinois figurant l’homme.

Damien, lui, comme bon nombre d’intellectuels, se plaçait artificiellement là-haut ! II devait retrouver une forme d’équilibre, en condescendant à s’impliquer dans son corps, les travaux manuels, et en se confrontant à la matérialité.

« Qu’est-ce qui vous en avait empêché jusqu’à présent ? »

« Un rêve où l’image d’un serpent s’entortillait autour de moi (…). Le serpent m’étouffe et me fait peur ! »

Le serpent est un animal chtonien, il habite le sol sous terre : c’est l’image d’une puissance féminine envahissante.

« En ce moment je ne supporte plus ma mère. Je la fuis, tant elle m’agace. »

« Le serpent représente aussi la sagesse terrestre, la connaissance et la féminité, mais aussi la libido, l’énergie sexuelle et ses pulsions. Tant qu’il se débattra avec le reptile, il n’aura accès ni à la connaissance de son corps et de la vie terrestre, ni à la relation. La peur du serpent l’a conduit à se réfugier en haut de l’échelle. D’autres se retrouvent en haut d’une tour. Je me souviens de concertistes célibataires qui étaient toujours à ce niveau après la quarantaine. »

Damien doit apprivoiser le serpent et, petit à petit, redescendre sur terre en retrouvant sa place, à égale distance entre ciel et terre. Cela nécessite une coupure de la relation trop prégnante entre sa mère et lui.

Rêve: « Je drague une fille à Paris. »

Au centre de la France, c’est-à-dire de lui-même, de son intériorité.

II poursuit sa recherche d’un autre continent afin de se reconstituer.

Cet éternel féminin[1] lui ouvrira les portes de la connaissance et de la relation lorsqu’il sera suffisamment ouvert à elle.


[1] L’anima au sens jungien est ce qui arrive du dedans et a bien évidemment la clé de l’accès â la vie terrestre, à la relation sexuelle, mais possède aussi une fonction spirituelle moins connue.

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