La violence des adolescents

Mars 2002. Deux jeunes filles de treize et quatorze ans torturent, mutilent et brûlent une de leurs camarades. Un père est massacré à coup de briques pour avoir tenté de comprendre le racket dont son fils est victime. Un adolescent pacifique, voulant s’interposer entre 2 filles, est poignardé dans le dos par le père de l’une d’elles.

On assiste aujourd’hui à des explosions d’agressivité de plus en plus fréquentes dans des tranches d’âge de plus en plus basses.

Certes, les jeunes subissent les contradictions d’une société vantant les mérites d’une consommation effrénée, mais n’offrant qu’incertitudes pour le lendemain, quand ce n’est pas celle du présent pour le plus grand nombre des cas.

Les inégalités sociales, même si elles en ont créé les conditions, ne suffisent plus à expliquer la crise dans les banlieues terrorisées. Citons par exemple cette jeune enseignante nommée lors de son premier poste dans une banlieue à problème et dépourvue de conseiller pédagogique. Elle devait enseigner à 30 jeunes de 10 à 14 ans. Au cours de ces trois premiers mois, il y eut trois hospitalisés pour fractures ! Leurs jeux favoris pendant la récréation étaient tous empreints de violence, et l’autorité directoriale brillait par son absence… Tout cela laisse des traces dans l’esprit des élèves qui ensuite perpétuent la maltraitance.

Pour un retour à la discipline

Cette dérive vers la violence est donc un signal. Elle traduit la demande d’une certaine discipline et d’un respect d’autrui, seuls moyens de régler la violence.

Actuellement, les responsables nous apprennent qu’il est nécessaire de palabrer, d’éduquer d’écouter face à la violence. C’est facile quand on voit la situation de la hauteur de son bureau ! Après avoir perdu son fils tué par un jeune du même âge, un père blessé affirme que la violence est une transmission de contre-valeurs et que la parole comme seul viatique revient à excuser, et donc perpétuer plutôt qu’à écarter la violence.

L’écoute est indispensable, l’échange aussi. Mais ces jeunes sont demandeurs avant tout de règles de conduite adaptées.

Éducation et discipline

Lors d’une de mes premières consultations psychanalytiques, je fus interrogée par un père bien sous tous rapports. Sa femme et lui louaient un appartement pour leur fils de 20 ans pour qu’il soit indépendant. Malheureusement, le rejeton prodigue ne mangeait pas, s’ils ne lui apportaient pas tous les jours devant la porte, sa pitance… Cela ne l’empêchait pas d’être très violent envers eux, de casser régulièrement tout dans son appartement, de leur renvoyer quelquefois l’assiette à la figure et, en général, de faire n’importe quoi. Sans compter la drogue et l’alcool. En fait, l’enfant n’avait pas reçu assez d’interdits, de repères. Les parents étaient en partie responsables de cette situation.

Je leur demandai de rencontrer leur fils, s’il voulait bien venir. Ce grand gaillard d’un mètre quatre-vingt dix − avec pour signe particulier une série de lames de rasoir, enchaînées les unes aux autres sur une trentaine de centimètres, pendant à chaque oreille − était arrivé avant moi au cabinet.

Je lui demandai de se lever parce qu’il avait pris ma place, puis de se mettre en face de moi et ensuite d’écraser sa cigarette.

En dépit de mes craintes, il obtempéra immédiatement sur les deux points avec un sourire. D’emblée, il avait fallu poser les marques, préciser les situations et les rôles. L’entretien fut extrêmement intéressant et positif. Le père fut très surpris de savoir que tout s’était très bien passé. Je lui recommandai d’être très ferme dans ses principes et d’exiger le respect de son fils.

Un besoin d’engagement

On peut observer chez les jeunes, en fin d’adolescence, le désir d’engagement associé au besoin d’une discipline. Autrefois, métiers militaires ou légion, puis partis politiques et syndicats, aujourd’hui, causes humanitaires, sport, voire certaines formes de religiosité ou d’engagement personnel. C’est sans doute une forme d’exutoire.

Il n’est pas nécessaire d’appliquer une discipline de fer, tyrannique ou dictatoriale qui nous ramènerait à une époque rétrograde, mais de mettre en place des règles et de proposer des repères, car l’homme a besoin d’être guidé. Il est important de savoir ce qui est bon pour soi, ce qui ne l’est pas, cette argumentation que l’on oppose entre les deux parties de soi-même est une chose positive.  L’individualisation, la structuration sont toujours un combat entre nos facettes sombres et nos facettes lumineuses. Il faut tenir compte de l’ensemble.

La bougie rouge est cette image de lumière à toujours garder à l’esprit, pour y voir clair, et évoluer en suivant l’esprit principe et non une règle absolutiste.

L’humain a donc besoin notamment à l’adolescence d’exprimer, d’expulser sa trop grande vitalité mais dans un certain cadre de respect.

Les mauvais modèles

Sans ces limites, la violence ne peut qu’enfler et se développer. Le satanisme ou des principes sectaires trouvent un terrain favorable chez les jeunes dans la mesure où ils n’ont pas d’autres modèles. C’est le cas de ces deux jeunes filles de 13 ans et 14 ans qui ont torturé, brûlé une de leurs camarades, sans le moindre remords. Un article paru dans Courrier International, intitulé “6 ans U.S. 2000” soulève le problème du conditionnement à la violence chez l’enfant dès la petite enfance. Expert international de l’art de tuer, professeur de psychologie, l’auteur, David Groosman, lieutenant-colonel à la retraite de l’armée américaine, compare la violence télévisuelle au conditionnement mental des recrues qui doivent apprendre à tuer. L’une des deux jeunes tueuses précitées a reconnu avoir été “inspirée” par le film d’horreur Scream.

Dès 18 mois, et non 18 ans comme les recrues, les enfants subissent des traitements de désensibilisation à la violence par ce qu’ils voient, alors qu’ils ne comprennent le sens de leurs actes qu’à partir de 6 ou 7 ans. Selon l’auteur, l’homme se retient naturellement de tuer ses semblables, même lorsque la colère ou la peur le submergent.

Seuls 15 % à 20 % des soldats tirent réellement sur l’adversaire, alors qu’après conditionnement à la brutalisation et à la désensibilisation, le taux monte à 55 % (guerre de Corée) ou à plus de 90 % (guerre du Viêt-nam).

L’humain aime être guidé et se modeler au contact de personnalités exceptionnelles et irréprochables.

L’identification s’exerce par mimétisme. Tant qu’on ne l’aura pas compris ou enregistré, la violence ne pourra que se développer.

L’homme ne naît pas tueur, il peut le devenir selon les héros et les héroïnes dont il tendra à imiter les valeurs.

(Article paru dans Votre Santé n° 32 – Mai 2002)

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